mardi 24 février 2015

MDXXIV : Les huit tours de la Bastille et la réorganisation du dispositif défensif du XIVe siècle à 1789

  

Jean-Pierre Houel, La prise de la Bastille, L'arrestation du Gouverneur de Launay, 1789, Musée Carnavalet

 Cette vue de la prise de la Bastille en 1789 est très célèbre. Je me suis posé la question de savoir quelles sont les deux tours représentées et donc par où se faisait l'accès dans la Bastille. 

La réponse n'est pas simple et on va voir avec cet article que l'accès à la Bastille a beaucoup changé au cours des  siècles.

Il faut d'abord avoir à l'esprit que la Bastille comportait huit tours :


Il s'agit de

- 1 : La tour du Coin (tour qui était située à l'angle et qui était la première que l'on longeait en entrant par la porte Saint-Antoine)

- 2 : La tour de la Chapelle (une chapelle fut installée dans cette tour au XVe siècle). La chapelle a été déplacée par la suite mais la tour a gardé le nom.

- 3 : La tour du Trésor, dans laquelle Henri IV avait stocké une partie du trésor pour financer la guerre (logique l'Arsenal était tout près).

-  4 : La tour du Comté

- 5 : La tour du Puits : un puits avait été creusé au pied de cette tour pour approvisionner la Bastille en eau.

  - 6 : La tour de la Liberté qui semble-t-il a pris ce nom en 1380 quand les Parisiens ont voulu obtenir la liberté pour le prévôt des Marchands Hugues Aubriot qui y avait été enfermé (alors qu'il était un de ceux qui avaient fait construire cette tour, voir infra). C'est à la base de cette tour que se trouvait la salle où on procédait à la "Question", la torture abolie par Louis XVI

- 7 : La tour de la Bertaudière, du nom d'un maçon qui est tombé de cette tour pendant sa construction.

- 8 : La tour de La Bazinière, du nom d'un trésorier de l'Epargne qui y a été enfermé en 1663.

Quand on rentrait dans Paris en venant de l'Est (comme sur la gravure avec la porte Saint-Antoine de l'article publié le 22 février 2015), on voyait donc la tour du Coin (1), la tour de la Chapelle (2), la tour du Trésor (3), la tour du Comté (4) et et arrière-plan la tour du Puits :


 Inversement, côté Ouest de la Bastille, depuis la rue Saint-Antoine,on voyait a tour du Puits (5), la tour de la Liberté (6), la tour de la Bertaudière (7) et la tour de la Bazinère (8).

Chaque tour faisait la même hauteur mais la tour du Trésor (3) et de la Chapelle (4) n'avaient que deux étages et pas de douves, alors que les tours de la Liberté (6) et Bertaudière (7) avaient trois étages. Les tours situées aux quatre angles : la tour du Coin (1), du Puits (5), du Comté (4) et de la Basinière  (5) avaient 5 étages.

Je me suis demandé pourquoi la forteresse avait cette forme étrange : ce n'était pas un rectangle mais un trapèze avec une avancée au niveau de la tour du Trésor (3) et de la Chapelle (4) et entre ces deux portes, on pouvait voir ce qui ressemble à un portail :

Il s'agit en fait de la Porte Saint-Antoine primitive : initialement, pour entrer dans Paris, il fallait emprunter ce passage. Sous le règne du roi Jean II (1350-1364), on commença par élever , à droite et à gauche de l'arcade de la porte Saint Antoine deux grosses tours rondes de 24m de haut, séparées de la route de Vincennes par un fossé très profond 28 mètres. Les tour de la Chapelle (2) et du Trésor (3) correspondent donc à l'ancienne porte Saint-Antoine. 

Dans les années 1370, le prévôt des Marchands Hugues Aubriot (à la fin du règne de Charles V) fit édifier deux autres tours semblables, à 72 pieds en arrière des premières et, comme elles, protégées par un fossé large et profond du côté du quartier Saint-Antoine. Il s'agit des tours de la Liberté et de la Bertaudière. Pour rentrer dans Paris, il fallait donc traverser cette porte protégée par deux rangées de tours :

Cela permettait aussi d'avoir à disposition une forteresse protégée des éventuels tumultes parisiens. La sédition menée par le prévôt des Marchands Étienne Marcel était encore dans les mémoires.

La Bastille connu un nouveau remaniement profond pendant le règne de Charles VI (1380-1422). En en effet, la nouvelle enceinte de Paris commencée sous les Charles V étant achevée, une nouvelle porte Saint-Antoine fut construite un peu plus au Nord. La Bastille devint définitivement une forteresse intégrée dans Paris mais désormais à l'écart.  Le nombre des tours fut , dans un premier temps, porté de quatre à six (1383) avec la construction de tour du Coin (1) et la tour du Puits (5) dans l'espace compris entre la nouvelle porte.  Entre ces deux nouvelles tours, on créa le nouvel accès sur la Bastille dans laquelle on rentrait donc désormais par le Nord.

 C'est alors que l'on boucha les deux anciennes portes à l' Est et à l'Ouest. Au-dessus de la voûte tournée vers l'Est qui faisait face à la route de Vincennes, entre la tour de la Chapelle (2) et du Trésor (3) on installa des statues de Charles VI, de sa femme, Isabeau de Bavière, de deux de leurs fils et de saint Antoine. L'ensemble de la forteresse fut complété par la construction des septième et huitième tours, sur le côté sud : la tour du Comté (4) et la tour de la Bazinière (8).

Plus de 150 ans plus tard, dans les années 1550, la forteresse fut  à nouveau complètement remaniée : l'accès se fit non plus par le Nord, mais par le Sud entre la tour du Comté et la tour de la Bazinière.

 C'est ce que l'on voit par exemple sur le plan de Bâle qui date des années 1550 : 

La Bastille se tourna ainsi vers l'Arsenal, le lieu de dépôt des armes, et en particulier de la poudre qui  fut stocké dans la forteresse jugée plus sûre.  Au XVIIIe siècle, en venant de la rue Saint-Antoine, il fallait traverser une série de cours pour contourner la Bastille par le Sud et avoir accès à ce portail d'entrée comme on le voit sur le plan Turgot des années 1730 :

La scène souvent représentée de la Prise de la Bastille montre l'accès à la dernière cour avant le portail d'entrée :

Les deux tours qui apparaissent sur les représentations de la Prise de la Bastille sont dont au 1er plan la tour de la Bazinière et à l'arrière-plan la tour du Comté.


dimanche 22 février 2015

MCDXXIII : La porte Saint-Antoine, un monument disparu peu de temps avant la démolition de la Bastille

  

Sur cette gravure du vieux Paris, on peut voir la Bastille et la "Porte Saint-Antoine" qui marquait l'entrée dans le Centre de Paris à l'emplacement de l'enceinte de Charles V détruite pendant le règne de Louis XIV.

 Voici un détail du plan Turgot pour se remettre en mémoire où cet arc de triomphe était situé (rappelons que sur le plan Turgot des années 1730 le Nord se trouve vers la gauche) :

On peut voir que cette porte Saint-Antoine n'était pas dans l'axe de l'actuelle rue Saint-Antoine (où se trouvait la Bastille) mais un peu plus au Nord sur ce qui correspond aujourd'hui à la rue de la Bastille où on trouve notamment la brasserie Bofinger.

En cet endroit l'enceinte Charles V du XIVe siècle comportait une des principales portes d'accès  à Paris, la Porte Saint-Antoine. Les rois avaient l'habitude d'y faire leur entrée officielle dans Paris car cela permettait de déboucher sur la rue Saint-Antoine qui était une des plus larges de Paris.

Dès le règne d'Henri III (1574-1589), la porte avait été transformée en arc de triomphe avec une arche unique décorée de chaque côté par une statue représentant un fleuve réalisée par Jean Goujon.

C'est par cet arc de triomphe que Louis XIV fit son entrée solennelle dans Paris en août 1660 accompagné de sa toute nouvelle épouse Marie-Thérèse. En souvenir de ce moment faste de son règne, le roi Soleil fit ajouter deux arcades latérales  en 1670 [afin aussi de faciliter le passage].

Cela a donné à la porte Saint-Antoine l'aspect qu'elle a conservé jusque dans la 2e moitié du XVIIIe siècle, tel qu'on peut le voir sur la gravure que je publie au début de cet article :


J'ai retrouvé une description détaillée de la porte (voir le site http://www.gutenberg.org/files/23484/23484-h/23484-h.htm)

La face qui est du côté du faubourg  est ornée de refands et d'un grand entablement Dorique qui règne sur toute la largeur, et lequel est surmonté d'un Attique, en manière de piédestal continu, aux extrémités duquel sont deux obélisques.

«Dans les niches pratiquées entre les pilastres, sont deux statues qui représentent les suites heureuses de la Paix faite entre la France et l'Espagne en 1660. Celle qui est à main droite tient une ancre au bas de laquelle il y a un dauphin. Cette figure est allégorique à l'Espérance que la France avoit conçue de cette paix qui avoit été cimentée par le mariage du roy Louis XIV avec Marie-Thérèse d'Autriche Infante d'Espagne. L'autre statue est la Sûreté publique qui est désignée par cette figure qui s'appuye sur une colonne avec une attitude et un visage si tranquilles, qu'elle fait connoître qu'elle n'a plus rien à craindre. Ces deux statues sont de François Anguière, et des chefs-d'œuvre.

«Au-dessus de ces niches sont deux vaisseaux qui sont allégoriques à celui que la ville de Paris porte dans l'écusson de ses armes.

«Sur une espèce de console formée par la saillie de la clef de la voûte du grand portique, est un buste du Roy Louis XIV, fait d'après le nature par Girard Vanopstal [Gérard Van Opstal], sculpteur, et qui a été peint en bronze pour le détacher du corps de la maçonnerie.

«Deux figures qui représentent la Seine et la Marne, sont à demi-couchées sur les impostes, et sont regardées comme des chefs-d'œuvre de sculpture. Les uns disent qu'elles sont de Maître Ponce et les autres de Jean Gougeon. Ce qu'il y a de plus constant, c'est que leur excellence fit qu'on les conserva lorsqu'en 1660 on rebâtit cette porte.

L'attique est formé par une grande table de marbre noir au-dessus de laquelle sont les armes de France et de Navarre, en deux écussons joints ensemble, entourés des coliers des ordres de Saint-Michel et du Saint-Esprit, et surmontées d'une couronne fermée. Deux trophées d'armes achèvent de remplir le vuide de ce fronton, au-dessus duquel sont deux statues à demi-couchées, vêtues de long, et ayant des tours sur leurs têtes. Celle qui tient sur ses genoux une couronne fermée et fleurdelisée, représente la France. L'autre tient un petit bouclier et quel es dards, et désigne l'Espagne. Elles se donnent la main en signe d'amitié et d'alliance.

«L'himen qui est plus haut, au milieu d'un attique en manière de piédestal continu, semble approuver et confirmer cette union qu'il a fait naître. D'une main il tient son flambeau allumé, et de l'autre un mouchoir. Les extrémités de ce piédestal continu sont terminées par deux pyramides, aux pointes desquelles sont des fleurs de lys doubles et dorées de même que les boules qui portent ces pyramides. Tontes ces figures sont de Vanopstal, et de quatre pieds plus grandes que le naturel.

«L'inscription qui est gravée en lettres d'or sur la grande table de marbre noir dont j'ai parlé, explique toute cette composition en nous disant que la paix des Pyrénées a été faite et cimentée par les armes victorieuses de Louis XIV, par les heureux conseils de la Reine Anne d'Autriche sa mère, par l'auguste mariage de Marie-Thérèse d'Autriche et par les soins assidus du Cardinal Mazarin.

«Voici les termes dans lesquels cette inscription est conçu

Paci
victricibus
LVDOVICI XIV.
Armis.
Felicibus ANNÆ conciliis
augustis.
M. THERESIÆ nuptiis,
assiduis Julii Cardinalis MAZARINI
Curis
Portæ fondatæ æternum
firmatæ
Præfectus Urbis Ædilesque
sacravere
Anno M. DC. LX

Les deux portes qui sont aux côtés de cette du milieu qui est la plus grande, n'ont été percées qu'en 1672. Comme il paroit par les inscriptions qui sont dans deux tables de l'attique sur l'une desquelles on lit:

LUDOVIGO MAGNO
Præfectus et Ædiles
Anno R. S. H.
1672.

Sur l'autre de ces deux portes est écrit:

Quod Urbem auxit,
Ornavit, Locupletavit.
P. C

Cependant, certains artistes semblaient vouloir refaire complètement ce monument. J'ai ainsi trouvé une gravure de 1679 par Sébastien Leclerc représentant un projet assez grandiose de l'architecte Charles Perrault : 


 La composition prévue était surmontée comme on le voit par une statue équestre du Roi-Soleil.

La porte Saint-Antoine, contrairement à ce qu'on peut lire parfois, n'a pas été détruite en même temps que la Bastille (donc en 1789) : elle avait été démolie quelques années auparavant, en  1778 (ou 1788 d'après d'autres sources), car elle gênait la circulation. La destruction de la forteresse de la Bastille à partir de Juillet 1789 a radicalement réglé le problème.

mardi 17 février 2015

MDXIX : La rue des Archives devient une annexe de l'avenue Montaigne

La rue des Archives est une voie du 4e arrondissement pour laquelle j'ai une affection toute particulière. J'ai notamment été pendant plusieurs années membre du "bureau du conseil de la rue des Archives" qui avait été mis en place pendant le 2nd mandat de Dominique Bertinotti entre 2008 et 2012.

Lorsque j'ai commencé à fréquenter la rue des Archives dans le secteur compris entre le BHVet le Cox, c'était un secteur un peu sinistre côté impair. On trouvait dans l'angle situé en face du Cox un restaurant chinois dans lequel il n'y avait presque jamais personne. Il s'appelait le "Pavillon rouge". Je n'y ai mangé qu'une fois. A cet endroit, on a pu voir s'installer par la suite un Starbuck café qui attirait bien davantage les foules (voir mon article du 4 mars 2011)

Dans le reste de ce tronçon, on pouvait aussi voir plusieurs magasins qui avaient en permanence des rideaux fermés. C'était des espaces de stockage dans un secteur qui à l'époque (je vous parle du milieu des années 1990) était encore très populaire. A cet endroit c'était installé un des premiers Daily monop' de Paris. L'article que j'avais fait paraître à cette occasion "Daily Monop' ouvre ses portes dans le Marais" paru le 7 novembre 2008 est resté longtemps un de ceux qui a été les plus lus de ce blog.

Je suis cependant consterné par l'évolution actuelle de ce secteur. On peut effet voir s'installer toute une série de boutiques des plus grands groupes de luxe qui affiche cette prétention qui n'a rien à voir avec l'Histoire de ce quartier de Paris tout en prétendant s'y inscrire. Il est en effet amusant qu'une boutique ait gravé dans la pierre son nom et celle du BHV pour faire croire au caractère antique de son installation à cet endroit. Ce style nouveau riche tape à l’œil à tout pour m'insupporter.

 

De manière encore plus symbolique, un mendiant est installé à l'entrée d'un des magasins qui n'est pas encore ouvert. Je ne suis pas grand devin si j'annonce que l'on ne continuera pas à le laisser installer ses quartiers à cet endroit encore très longtemps.


Je ne peux regretter que cette évolution d'une partie importante de l'arrondissement qui devient un immense mall pour achat de fringues et de produits de luxe. Il faut souligner que cette évolution s'est considérablement accélérée depuis quelques années. Cela ne va pas plaire, mais je ne vois pas comment ne pas faire un rapprochement avec le fait que l'arrondissement est dirigé depuis juillet 2012 par un personnage qui lui même joue un rôle important dans un des principaux groupes de luxe français. On ne voit pas comment vu son background, il aurait la moindre légitimité pour regretter cette évolution.

Cette politique ne sert pas du tout la qualité de la vie de quartier dans le 4e arrondissement mais cela ne semble pas le problème. L'important est que cela soit rentable et que ça rapporte.


samedi 14 février 2015

MDXVII : Les statues de l'Hôtel de Ville (111e volet ) : Madame de Sévigné par Eugène-Antoine Aizelin


Je continue la série des personnages statufiés sur les façades de l'Hôtel de Ville. J'ai pu prendre cette photo depuis que le jardin de l'Hôtel de Ville est devenu accessible au public. Il s'agit du'n personnage qui a joué un rôle important dans le Marais : Madame de Sévigné.

Comme toutes les femmes présentes sur la façade de l'Hôtel de Ville, Madame de Sévigné est située sur le côté qui donne vers la Seine, que l'on a donc bien du mal à voir... tant que le jardin situé à cet endroit était fermé au public.

Marie de Rabutin-Chantal est née à Paris le 5 février 1626 (nous fêtons aujourd'hui le 389e anniversaire de sa naissance). Je renvoie vers la notice du site Salon littéraire qui propose des informations à la fois complètes et synthétique sur cette grande femme de Lettres (voir le lien). Elle est morte à Grignan le 17 avril 1696.

La rue de Sévigné est sitée dans les 4e et 3e arrondissements. Elle longe l'Hôtel Carnavalet où Mme de Sévigné a longtemps vécu.

Pour finir, une petite citation de Mme de Sévigné qui souvent montré un grand sens de l'observation :  La vie est courte, c'est la consolation des misérables et la douleur des gens heureux. (Lettre au comte de Bussy-Rabutin, le 19 décembre 1685).

La statue est une oeuvre du sculpteur parisien Eugène-Antoine Aizelin  (né à Paris le 8 juillet 1821 et mort  dans le 5e arrondissement de Paris le 4 mars 1902) auquel on doit la statue de Jean-Sylvain Bailly le 1er maire de Paris (voir article du 14 avril 2010)