Au 58 rue du roi de Sicile, on trouve un curieux immeuble qui m'avait conduit à écrire une 1ère version de cet article. Le portail en effet a un décor assez surprenant :
Au dernier étage, la façade de cet immeuble d'aspect industriel est surmontée par un balcon :
Un lecteur de L'Indépendant m'a adressé un message très complet qui m'a permis d'en savoir énormément plus sur cet immeuble qui a été commandé par
l'entreprise des Casquettes SOOLS qui appartenait aux frères Charles
et Maurice Solinski dont il est un témoignage de la réussite dans
l’Entre-deux-guerres et un souvenir d'une saga entrepreneuriale et
familiale.
Je reproduis ci-dessous -en les modifiant à peine- des extraits du message que mon lecteur m'a envoyé :
"Avec la fin du premier conflit mondial et l’avènement des
« années folles », l’industrie de la casquette prend un nouvel élan.
Comme dans des nombreux autres pays d’Europe et d’Amérique, la société
des loisirs se développent rapidement, créant une demande particulière
de la part de la gente masculine aisée qui redoute encore de sortir tête
nue. La casquette, autrefois associée aux couches populaires de la
société ou à un élément de tenue professionnelle, devient un accessoire
de mode raffiné.
Les entreprises de production de casquettes étaient en très
grande majorité installées dans le quartier historique du Marais qui
accueillait depuis la seconde moitié du 19ème siècle de nombreux
migrants juifs d’Europe, faisant du coeur de ce quartier un quasi ghetto
que les habitants avaient eux-même baptisé du nom de « Pletzl » (mot
yiddish signifiant petit place). C’est au coeur de ce quartier qu’est
donc logiquement installée la fabrique de casquettes des frères Charles
et Maurice Solinski, au 17 de la rue Vieille du Temple* pour être
précis.
Les deux frères se sont cependant démarqué du lot en créant une
marque de chapeaux et de casquettes au nom fortement anglo-saxon et qui
suggère les prémisses de la fascination qu’exercera l’Amérique sur les
sociétés européennes dont les soldats stationnés à la fin de la première
guerre mondiale seront les premiers ambassadeurs. Cette marque de
couvre-chef est donc SOOLS. Si on ne trouve nulle explication concrète
sur l’origine du nom, on peut s’amuser à imaginer que les frères Maurice
et Charles ont contracté leur nom de Solinski en Sol, doublant le O
pour faire plus américain et y adjoignant un S pour faire plus
commercial. Leur attirance supposée pour l’Amérique les conduira même
jusqu’à devenir les distributeurs exclusifs des chapeaux Stetson en
France.
Pour le marché de la casquette, ils ont créé au début des années
20 un label ciblant de manière claire une part importante d’un marché
renaissant : la casquette Grand-Sport. A grand renfort de publicités
dans la presse illustrées, ils investissent le domaine des courses
cyclistes et notamment les fameux 6 jours du vélodrome ou le non moins
célèbre tour de France, en faisant avec leur casquette du véritable
placement de produit. Organisation de challenge, primes aux vainqueurs
avec cérémonies de remise de chèques et de la fameuse casquette chez le
chapelier de la ville étape, les frères Sools sont rompus à toutes les
techniques commerciales. De cette époque nous est parvenue la fameuse
série de clichés réalisés par l’agence de presse Meurisse lors du tour
de France 1929. Arborant plus ou moins fièrement leur « casquette
Sools », les coureurs sont transformés en véritable présentoir
commercial.
De succès en succès, mais confrontés aussi à de nombreux
mouvements sociaux suites à des « ajustements de salaires » sans doute
peu philanthropiques, les deux frères Solinski se sont installés de
manière exceptionnelle dans le paysage industriel français. Ils ont tous
deux leur légion d’honneur. Joséphine Baker porte leurs casquettes,
comme la star du cyclisme Charles Pélissier. Milton ou Al Brown,
lorsqu'ils saluent, révèlent leur nom dans la coiffe de leur chapeau.
Ils ont confié à Adolphe Mouron, dit Cassandre, l’un des meilleurs
illustrateurs de l’époque (grand prix de l'Exposition internationale des
arts décoratifs), la promotion de leur « Grand-Sport ». Il réalisera
pour eux en 1925 puis en 1931, deux chefs d’œuvres du graphisme des
années 20. Leur activité commerciale s’est à ce point développée qu’ils
font construire en 1925 un bâtiment neuf pour accueillir leurs nouveaux
ateliers".
C’est Georges Pradelle, architecte en vue dans la capitale, qui réalise ce bâtiment dans le plus pur style art déco. Ce bâtiment [situé]
au 58 rue du Roi de Sicile** est une affirmation de la santé de
l’entreprise et de l’encrage de la maison Sools dans la modernité de son
époque. En plus de ce siège, perçu comme futuriste par les résidants du
quartier, la maison Sools se targuent dans ses publicités de détenir
pas moins de douze points de vente dans la capitale dans les années 20.
L’une de ces boutiques [était située] à l’angle des rues de Turenne et St Antoine.
Le dernier témoignage de l’existence de la maison Sools que nous
avons trouvé date du mois d’août 1940. Dans un encadré du journal Le
Temps, les frères Maurice et Charles Solinski annoncent à leur clientèle
qu’ils n’ont jamais quitté la France et que leur activité commerciale
se poursuit. Ils se sont installés depuis le 10 juin 1940, soit quelques
jours avant la signature de l’armistice entre le gouvernement français
et l’armée allemande, dans une petite ville du sud ouest de la France.
Ils précisent encore que leurs 17 boutiques sont encore ouvertes".
*[Note de l'Indépendant du 4e : le 17, rue Veille-du-Temple est situé
dans le même pâté de maisons que le 58 rue du Roi de Sicile]
**Pour écrire cet article et vérifier ma source principale (petit
réflexe d'historien), j'ai acheté un document qui atteste l'existence de
l'entreprise des frères Solinski situé au 58 rue du roi-de-Sicile.
Voici en effet une facture qui date de 1931 :
On peut observer dans le coin en bas à gauche l'adresse de l'entreprise qui était bien situé au 58 rue du Roi-de-Sicile :
PS : en republiant cet article en mai 2021, j'ai retrouvé le permis de cet immeuble : il a été déposé le 24 avril 1925 au nom des frères Carlhian (je ne comprends pas pourquoi ce ne sont pas les frères Solinski qui sont mentionnés), l'architecte étant Pradelle (20, quai du Louvre)
On peut trouver sur ce lien un article sur le marketing des casquettes SOOLS en 1925.
[Affiche d 'Adolphe Mouron, dit Cassandre (1901–1968), casquette
Grand-Sport de l'entreprise Sools. Hachard & Cie, Paris. Circa 1925.]