|
Hittorff par Ingres en 1829
|
Tous les Parisiens
ont déjà une fois au moins entendu parler d’Haussmann, d’Alphand ou de Davioud,
mais peu nombreux sont ceux à connaître le nom d’Hittorff. Pourtant, le « beau
Paris » - celui que nous envie le monde entier aujourd’hui - doit énormément
à cet architecte (et pas seulement architecte, nous le verrons) injustement
oublié, sans doute à cause de sa nationalité allemande, mais peut-être aussi à cause
de l’hostilité d’Haussmann qui montrera un véritable acharnement à saper sa
carrière ! Toutefois, cela n’empêchera pas Hittorff d’être admiré et célèbre de
son vivant, d’entrer à l’Institut de France et de recevoir de nombreuses et
prestigieuses distinctions.
À travers une série
d’articles à paraître régulièrement sur l’Indépendant du Coeur de Paris,
Emmanuel (rédacteur du blog) et moi, Baptiste (@Baptiste75004 sur Twitter), vous emmènerons dans les semaines à venir sur les traces d’Hittorff
à Paris, en vous présentant une sélection de ses réalisations les plus emblématiques
encore visibles aujourd’hui. Tous les deux mois, nous vous ferons découvrir ou
redécouvrir un édifice, un monument, un aménagement signé Hittorff aujourd’hui
indissociable de l’image de Paris.
QUELQUES MOTS SUR LE MAÎTRE
Jakob Ignaz
Hittorff est né le 20 août
1792 au cœur du vieux Cologne dans une famille d’artisans (son père
était maître ferblantier) qui l’oriente dès son
jeune âge vers le métier d’architecte
(apprentissage en maçonnerie, cours de dessin et de mathématiques…).
|
Cologne en 1800
|
À partir de 1794, Cologne étant sous domination française et étant
annexée (en 1801) à la République, Hittorff bénéficie de la citoyenneté
française. À 18 ans, Jacques Ignace part pour Paris et est admis à
l’école
des Beaux-Arts au sein de l’atelier
du célèbre Charles Percier (1764-1838), créateur du style Empire (Percier
signera plus tard l’arc
de triomphe du Carrousel). Dès son arrivée au sein de l’atelier,
les talents exceptionnels de dessinateur d’Hittorff sont tout de suite remarqués
par le maître qui lui donnera par la suite de précieux conseils et le guidera
dans sa carrière. Hittorff n’a
pas encore vingt ans lorsqu’il
collabore, sous la direction de François Joseph Bellanger (1744-1818), l’un des
plus célèbres représentants du style néo-classique et l’auteur du château de
Bagatelle, au chantier de construction de la première grande structure métallique
en France, la Halle aux blés (actuelle Bourse du Commerce à Paris). Le contexte
international n’est
malheureusement pas favorable à Hittorff : le traité de Vienne (1815)
lui fait perdre sa citoyenneté française, le droit de poursuivre ses études et
par conséquent la possibilité de préparer le concours du prix de Rome. Mais
Joseph Bellanger qui a, comme Charles Percier, conscience du formidable
potentiel du jeune Hittorff, le prend sous son aile (les quatre dernières années
de sa vie) au moment où il entre au service de Louis XVIII. À la mort de
Bellanger, Hittorff a déjà largement fait ses preuves et est nommé « Architecte
du Roi pour les fêtes et cérémonies ». Hittorff décorera par exemple
somptueusement Notre-Dame pour le baptême du duc de Bordeaux, ou la cathédrale de Reims en 1825 à l’occasion du sacre
de Charles X.
|
Décor extérieur de la cathédrale de Reims pour le sacre de Charles X en 1825
|
De septembre 1822 à
juin 1824, Hittorff avait voyagé en Italie pour ses études avec
l’assentiment
de Louis XVIII. Après un passage à Rome, il s'était rendu en Sicile, et notamment à Sélinonte
où il avait effectué à ses frais des fouilles et de nombreux relevés durant cinq
semaines.
|
Temple à Sélinonte (Nord-Ouest de la Sicile)
|
Il y avait trouvé sur les vestiges des éléments qui confirmèrent son hypothèse : la
polychromie était présente dans l’architecture religieuse de l’Antiquité, les
temples étaient peints et colorés, idée qui était rejetée par les archéologues
de l’époque.
|
Planche d'étude de la polychromie antique par Hittorff |
Sur ce sujet, Hittorff aura à faire face à de nombreux détracteurs
pendant de nombreuses années, mais les plus grands experts finiront par reconnaître
qu’il avait vu juste. Il fera même leur admiration et deviendra un archéologue
et un historien de l’art mondialement reconnu. À son retour d’Italie,
Hittorff s’installe
définitivement à Paris où il épouse Élisabeth Lepère (1804-1870).
|
Mme Hittorff par Ingres en 1829
|
Elle était la fille du grand architecte
Jean-Baptiste Lepère (1762-1844) à qui l’on venait de
confier la construction de l’église Saint-Vincent-de-Paul et qui fera appel
à son gendre sur ce projet. Ceci nous amène à la première étape de
notre série dans les pas d’Hittorff à Paris…
1ÈRE ÉTAPE - ÉGLISE
SAINT-VINCENT-DE-PAUL (PARIS 10ème) : 1831-1844
|
Vue de l'église depuis la place Franz Liszt
|
Félix Pigeory
(1813-1873), architecte, inspecteur des travaux de la ville de Paris et rédacteur
en chef de la Revue des beaux-arts, dira de cette église qu’elle est l’« un des
plus beaux ouvrages des temps modernes en ce genre ».
Initialement, c’est
à Jean-Baptiste Lepère qu’avaient été confiés les plans de ce monument édifié juste
à côté de l’endroit où Saint-Vincent-de-Paul fonda la mission des Lazaristes et
où il mourut (précisément au prieuré de Saint-Lazare, en 1531). La première
pierre de l’église Saint-Vincent-de-Paul est posée en 1824 mais la crise économique
de 1826 et la Révolution de 1830 freinent les travaux. En 1831, Hittorff
reprend le projet de son beau-père avec la volonté de réaliser ici une sorte de
manifeste de ses théories appliquées aux domaines de la sculpture, de la
peinture, de la fonderie, de l’ébénisterie, des vitraux… Il y aurait beaucoup à
dire à propos du travail des maîtres artisans de grand talent qui ont œuvré ici
sur les instructions d’Hittorff, mais l’objectif de notre série n’est pas d’entrer
dans le détail de toutes ces réalisations, aussi remarquables soient-elles.
Par rapport au
projet initial de son beau-père, Hittorff modifie énormément de choses : il
ouvre la place sur l’église, réalise un escalier monumental en s’inspirant de
celui de l'église de la Trinité-des-Monts, à Rome. Il dote la façade - que Lepère
avait choisi de dessiner avec un clocher unique - de deux tours (comme pour l’église
Saint-Sulpice). Il réalise un portique ionique de temple grec d’une
grande justesse archéologique, ce qui lui vaudra dès son achèvement des
critiques très élogieuses. Il faut imaginer l’église Saint-Vincent-de-Paul à l’époque,
sans les nombreuses constructions qui l’entourent aujourd'hui, dominant le
quartier en son point culminant et faisant face à un immense parvis : l’ensemble
devait être impressionnant pour le visiteur qui arrivait à pied ou en calèche
par la rampe d’accès prévue à cet effet.
|
Douze colonnes ioniques soutiennent le porche et symbolisent les apôtres
|
|
La Gloire de Saint Vincent de Paul par Charles Leboeuf Nanteuil (1792-1865), fronton achevé en 1846, avec sur la balustrade les quatre évangélistes.
|
|
Palmettes et tête de lion en bordure de la toiture
|
Hittorff voit
aussi à Saint-Vincent-de-Paul l’opportunité de mettre en valeur l’architecture
polychrome pour laquelle il se passionne et dont il est un des plus
grands experts de son temps. Différentes techniques, des plus anciennes aux plus
modernes, sont employées : peinture à la cire « à l’antique » pour les
frises d’Hippolyte Flandrin (1809-1864), peinture sur verre pour les vitraux de
Charles Laurent Maréchal (1801-1887), peinture sur lave pour les plaques émaillées
destinées à décorer la façade (sous le porche).
|
Vue principale de la nef avec la frise de 92m de long peinte par Hippolyte Flandrin (1809-1864) représentant 205 personnages, les saints, à droite, et les saintes, à gauche, se dirigeant vers le Christ en Majesté de la coupole
|
|
Détail de la frise peinte par Flandrin
|
|
Le grand orgue comprenant 66 jeux et 4649 tuyaux d'Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899) qui a également réalisé les orgues de Notre-Dame, Saint-Eustache, la Madeleine...
|
|
Le grand orgue depuis le 2e orgue situé dans le choeur |
|
|
Vitrail de Sainte Elisabeth par Charles-Laurent Maréchal (1801-1887) | | |
|
|
Saint Ferdinand et Sainte Hélène, deux des boiseries du pourtour du chœur qui comprend 38 sculptures d'Aimé Millet (1819-1891) et François Derré (1797-1888). Les têtes des saints représentent les membres de la famille d'Orléans.
|
|
Détail de Sainte Hélène |
|
|
L'autel majeur : le Calvaire par François Rude (1784-1855) avec le Christ sur la croix entouré par Sainte Marie et Saint-Jean, œuvre en bronze réalisée en1848/1852.
|
|
Un ange décorant la grille du choeur dessiné par Hittorff
|
|
Le plafond à caisson des bas-côtés.
|
Les plaques émaillées sous le porche représentent
des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament, elles sont réalisées par Pierre-Jules
Jollivet (1803-1871) et posées en 1860. La nudité de certains
personnages provoque immédiatement un scandale et le baron Haussmann, qui attend
toujours Hittorff au tournant, ne fait rien pour soutenir Jollivet. Au
contraire, il fait déposer les plaques l’année suivante. Il faudra attendre
2011 pour que les plaques colorées retrouvent leur emplacement d’origine !
|
Les plaques émaillées de Pierre-Jules Jollivet (1803-1871) avec la porte de Jean-Baptiste Farochon (1812-1871) fondue par l'entreprise Calla en 1844
|
|
Détail de la porte avec la statue de l'apôtre Saint Jude Thadée avec la mention de la date de la fonte et du nom de la fonderie
|
|
Détail d'une des plaques émaillées qui fit scandale
|
|
Extrait de l' ouvrage de Jacques-Ignace Hittorff, L'architecture polychrome chez les Grecs (1852) dans lequel il a inclus une planche montrant... la façade de l'église Saint-Vincent de Paul.
|
À bientôt
pour nouvelle étape dans le Paris d’Hittorff !
Le
saviez-vous ? Les
peintures sur lave des façades d’autels de l’église Notre-Dame-de-Lorette
(Paris 9è) ont été conçues par Hittorff d’après les esquisses d’Hippolyte Lebas
(1782-1867).
Édifices réalisés par Hittorff à Paris à la même époque que l’église Saint-Vincent-de-Paul et disparus aujourd’hui :
Le Panorama (1838-1839) Sa toiture suspendue fait d’Hittorff le précurseur des structures tendues modernes. Le Panorama, dépendant de l’Exposition universelle de 1855, est détruit vers 1898 avec d’autres édifices pour faire place à l’Exposition de 1900 :
Le Cirque d’Été (1839-1841) : Pouvant accueillir 6000 spectateurs, l’acoustique y est si bonne que Berlioz y donne des concerts. Détruit vers 1900, il a laissé son nom à la rue du Cirque.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire