dimanche 27 juin 2021

MMCCCXII : Les façades de Paris Centre : Une façade sans pareil de la toute fin du XIXe siècle au 61/63 rue Réaumur

La rue Réaumur, percée au tournant du XIXe au XXe siècle, est un des axes les plus intéressants de Paris Centre. On y trouve de nombreuses façades intéressantes auxquelles j'ai déjà consacré plusieurs articles. Or au 61-63, on peut admirer un immeuble qui vient tout juste d'être restaurée : les échafaudages ont été enlevés au début du mois de juin 2021.

Cet immeuble, autrefois appelé "le Palais Byzantin," possède une façade très éclectique avec une influence néo gothique plus fréquent à Londres, à Chicago ou à New York qu'à Paris. L'élément décoratif le plus impressionnant est la pendule qui surplombe le portail cenrtal :

Cette pendule indique l'heure mais elle fait aussi figurer les mois et les signes astrologiques :

voici un détail du quart situé en haut à droite :

A l'intérieur de la pendule, en observant de près, on peut aussi voir un baromètre :

Sous la pendule, on trouve d'autres motifs en rapport avec le Temps :

La représentations des signes astrologiques n'est cette fois pas sous forme de symboles mais de manière figurative :

Voici un détail  du quart du haut à droite avec les trois signes de l'été, le Cancer, le Lion et la Vierge :


Les saisons sont disposées sur la façade en partant du Printemps et en tournant dans le sens des aiguilles d'une montre avec le Printemps, l'Eté, l'Automne et l'Hiver. Chaque saison est associée à une divinité :

- le Printemps avec Flore :


l'Eté avec Cérés :

- L'Automne avec Pomone :

et l'Hiver avec Borée :

Autre décor étonnant on trouve dans l'axe du portail central deux éléments décoratifs assez étonnants :


Il s'agit d'abord d'une chimère assez curieuse : un lion avec une queue de serpent et une tête de chèvre (comme la Chimère d'Arezzo) mais en plus il a des ailes d'aigle :

la tête de la chèvre est pour le moins amusante : 

dans le prolongement de cette sculpture, on trouve en contrebas, juste au dessus du portail, une représentation plus classique : une double-tête qui semble représenter Janus, un Dieu lié aussi au temps avec une face tournée vers le passé et une autre vers le futur:

enfin, en observant d'encore plus près la façade, on peut découvrir tout en hauteur un autre thème : les 9 muses :


de droite à gauche : 

en 1 : Uranie...

Uranie est la muse de l'astronomie, c'est pour cela qu'elle a trois étoiles sur le front :

en 2 : Calliope (la muse de la poésie) dont le nom est mal orthographié (Caillope) :

en 3 : Polymnie (la muse de la rhétorique et de l'éloquence) :

en 4 juste à gauche de la partie centrale, Erato (la muse de la poésie lyrique) :

en 5 en passant côté gauche du portail central, Terpsichore, la muse de la Danse :

en 6, Melpomène, la muse du Chant et de la Tragédie :


 

en 7, Thalie, la muse de la Comédie :

en 8, Euterpe, la muse de la Musique :

en 9, Clio, la Muse de l'Histoire :

De manière assez curieuse, cette dernière muse est située sur la façade latérale qui donne sur la rue Saint-Denis. L'occasion de noter d'ailleurs que l'immeuble est très peu profond (environ 5m) comme je l'ai souligné avec la flèche sur la photo suivante:

Enfin, on trouve aussi deux dieux de la mythologie romaine :

A gauche, Mercure, le dieu du Commerce :

et à droite Vulcain, le dieu des Forgerons et de l'Industrie :

Pour connaître le nom des responsables de cette extraordinaire façade, il suffit de lire les informations données dans la partie centrale de la façade :


 A gauche, le nom des architectes, Edouard Singery et Philippe Jouannin et le nom du constructeur :  A. Lemoüé.En ce qui concerne Edouard Singery, je n'ai pas trouvé d'autres constructions à Paris mais il est l'architecte de la villa "Les Clochettes" édifiée à Houlgate en 1886 pour lui-même. Il y a aussi construit dans la station balnéaire normande, la villa Berthe en 1887.

Le permis de construire a été déposé le 11 mars 1898. Il permet d'apprendre que le cabinet d'architectes était situé 43 rue Saint-Didier (dans le 16e arrondissement) et que l'immeuble appartenait à un dénommé à un dénommé Vattepain.Sans certitude, il s'agit certainement d'une famille impliquée dans la passementerie dont deux membres importants ont été François Désiré Vattepain (1799-1874) puis son fils Théophile Joseph Vattepain né à Paris le 4 septembre 1844 et marié le 20 janvier 1872 avec Marie Elisabeth Chatel à la mairie du XVIe arrondissement.


L'entrepise Vattepain était située en 1847 au 67 rue Saint-Honoré d'après l'annuaire Didot de 1847

A droite, on peut lire le nom des artistes et artisans qui sont intervenus sur la façades. : les sculptures sont dues aux Jacquier, une entreprise installée à Caen dirigée par Francis Jacquier (1845-1911) et Aymé Jacquier (1847-1911) et dont la spécialité était surtout les décors religieux et funéraires.  On voit aussi figurer le nom du charpentier, serrurier, menuisier : "P. Ravier" sur lequel je n'ai pas trouvé d'information.

 

Dans la partie inférieure de l'horloge, on peut aussi voir le nom de la firme qui a réalisé la pendule : Paul Garnier :


L'entreprise Paul Garnier avait été fondée par un inventeur surdoué, Jean-Paul Garnier, connu sous le nom de Paul Garnier, (1801-1869) qui  notamment déposé en 1846 un brevet d'invention d'un ordinateur.  Sous le Second Empire, l'entreprise Paul Garnier a équipé en horloges la plupart des gares françaises. Au moment de la construction de l'immeuble, elle était dirigée par son fils Paul-Casimir Garnier (1834-1916) dont voici une photographie :

Sous la pendule on peut voir la date à laquelle la pendule et la façade ont été réalisées :  1898/1899.

Le style de l'immeuble est très composite avec des éléments néo-gothiques mais aussi de nombreux détails qui rappellent les styles Jugendstil et Art Nouveau (notamment les motifs végétaux, les décors en céramique et la typographie°.

 


Par arrêté du Ministère de la Culture du 2 octobre 2015, cet immeuble a été inscrit à l'inventaire du Patrimoine des Monuments historiques. La protection comprend "les façades, les toitures et l'escalier avec sa cage, celle-ci incluant les sols, les boiseries ainsi que les ferronneries de l'ascenseur".

A lire : 

La fiche du site Monumentum sur cet immeuble

Un article de 2016 du site du Ministère de la Culture consacré à l'inscription de cet immeuble dans l'inventaire du Patrimoine des Monuments Historiques. 

Un article sur les sculpteurs : la famille Jacquier.

Sur la famille des horlogers Paul Garnier. (article en anglais)

L'article (et les photos !) de Paris Bise Art en janvier 2011.


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