Cet article concerne une rue située au Nord des Halles, entre la rue Montmartre (au niveau du n°43) et la rue Etienne Marcel (au niveau du n°40) : la rue Jusienne (Paris 2e). Elle ne fait que 63m de long pour 14m de large.
La rue de la Jusienne depuis la rue Montmartre en juillet 2021 |
La rue de la Jusienne depuis la rue Etienne Marcel en Juillet 2021 |
Je me suis demandé quelle était l'origine du nom de cette rue et j'ai consulté le Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris de 1844. J'y ai appris qu'il avait existé une chapelle appelée Sainte-Marie-l'Egyptienne à l'angle avec la rue Montmarte et qu'elle avait donné son nom à la rue :
En regardant le plan Turgot des années 1730 on peut en effet voir la rue de la Jusienne et la chapelle Sainte-Marie-l'Egytpienne :
Voici un agrandissement :
Cependant en regardant un plan plus ancien, le plan de Bâle des années 1550, on se rend compte qu'initialement, la chapelle était située de l''autre côté de la rue de la Jussienne (qui à l'époque s'appelait rue Sainte-Marie-l'Egyptienne) et qu'elle n'était pas à l'angle :
Le Dictionnaire explique que la chapelle que l'on voit sur le plan Turgot a été vendue en 1791 et détruite en 1792. On peut en effet encore la voir sur le plan Verniquet de 1791 :
Par contre, sur le plan cadastral du début du XIXe siècle, la chapelle a disparu elle a été remplacée par des immeubles d'habitation :
Le hasard a fait qu'au moment où je me suis décidé à écrire cet article, ces constructions sont en pleine restauration c'est pourquoi on peut y voir des échafaudages pendant cet été 2023 :
Un panneau permet ainsi d'apprendre que l'immeuble qui a été construit à l'emplacement de la chapelle appartient à la RIVP et qu'on y trouve des logements sociaux :
Cette chapelle m'a donné envie d'en savoir un peu plus sur cette "sainte Marie l’Égyptienne" dont j'avoue je n'avais jamais entendu parler.
Il semble que cette sainte ait été originaire d'Egypte ou de Palestine et qu'elle ait vécu au Ve siècle. Elle serait arrivée à Alexandrie à l'âge de douze ans et s'y serait adonné à la prostitution. Cependant à l'âge de 29 ans, elle aurait rencontré des pèlerins se rendant à Jérusalem et aurait pris le bateau avec eux pour s'y rendre tout en continuant son activité. Une fois arrivée à Jérusalem, une force l'aurait empêché dans la basilique de la Résurection. Elle demanda l'intercession de l'icône de la Vierge et elle put pénétrer dans le lieu sacré. Après cela, ayant emporté du pain, elle vécut dans le désert situé près du Jourdain pendant 47 ans. Elle mena ainsi une vue érémitique à l'écart du monde pour éviter de céder aux vices. Après ce long isolement, un autre anachorète, saint Zosime, vint lui donner la Communion. Elle lui demanda de revenir un an plus tard et quand il répondit à son voeu, il la trouva morte avec un message lui demandant de l'enterrer à cet endroit tournée vers Jérusalem. Le sol étant trop dur, saint Zosime demanda l'aide d'un lion.
Ce qui est intéressant c'est que la plupart des articles sur Internet qui évoquent sainte Marie Madeleine l'Egytienne sont accompagnés de représentations de la sainte qui se trouvent dans le centre de Paris.
La première se trouve dans la 1ère chapelle latérale du bas côté sud de l'église Saint-Germain-l'Auxerrois (Paris 1er) :
Voici la statue :
La sainte tient dans la main les pains qu'elle avait emporté dans le désert pour survivre. Un petit panneau explique que cette statue a été sculptée au XVe siècle :
Or en ressortant de l'église, je me suis rendu compte qu'une copie de la statue avait été installée -certainement au XIXe siècle- dans le narthex (le porche qui précède l'édifice) :
On retrouve la sainte tenant dans ses mains des pains.
L'autre représentation célèbre de Sainte Marie l'Egyptienne se trouve dans le 4e arrondissement, dans l'église Saint-Merry. Dans une chapelle latérale, située sur la droite, on peut apercevoir (cela est compliqué en raison du mobilier entreposé à cet endroit) un tableau de Théodore Chassériau (1819-1856) :
Ne pouvant pas pénétrer dans la chapelle voici la photographie que j'ai réussi à prendre :
Dans la partie centrale, la sainte ait montrée au moment où elle demande l'intercession de l'icône de la Vierge :
Dans la partie supérieure, sainte Marie l'Egyptienne reçoit la Communion de Saint Sozime :
et dans la partie inférieure, le même saint procède à l'inhumation de la sainte :
Le lion qui a aidé saint Sozime a enterré sainte Marie l'Egyptienne est à l'arrière-plan sur la droite :Le département des Arts graphiques du Louvre possède un dessin préparatoire de cette peinture :
On peut voir que Chassériau a modifié la scène centrale mais pas les niveaux inférieur et supérieur.La sainte est souvent confondue avec Marie-Madeleine. Sur la Tour Saint-Jacques, la représentation de cette sainte (voir mon article du 7 novembre 2021) peut laisser penser par sa très longue chevelure qui évoque une pratique érémitique qu'il s'agit en fait de Sainte Marie l'Egyptenne :
Cela ferait alors trois représentations de sainte Marie l'Egyptienne, sans compter la chapelle disparue en 1792. La dévotion envers cette sainte dans le centre de Paris s'expliquer
certainement par le fait que dans Paris, on trouvait de très nombreuses
prostituées. De plus, la chapelle de la rue Jussienne était lieu de culte de la Corporation des Drapiers qui était une des plus puissantes de Paris (voir mon article du 4 novembre 2022).
L'Histoire de cette sainte a donné lieu au Moyen Âge à de nombreux écrits. Jacques Voragine lui a consacré un chapitre de la Légende dorée.
L'Histoire de cette sainte a donné lieu au Moyen Âge à de nombreux écrits. Rutebeuf (1245-1285) lui a consacré un long poème avec des passages assez graveleux qu'il conclut ainsi:
"Por moi, qui ai non Rustebuef,
Qui est dit de rude et de buef,
Qui ceste vie ai mise en rime,
Que iceste Dame saintisme
Prit celui cui ele est amie
Qu’il Rustebuef n’oublit mie."
Jacques de Voragine lui a consacré un chapitre de la Légende dorée.
La fête de Sainte Marie l’Égyptienne est célébrée le 1er avril.