Voici un nouvel épisode de la série sur les "passages" de Paris Centre : il concerne un passage assez curieux situé entre la rue Bergère (le long de la Canopée) et la rue des Halles au niveau de la place Marguerite de Navarre :
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Le passage des Lingères vue depuis la rue Berger
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Le passage des Lingères depuis la place Marguerite de Navarre
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Je pensais ne rien trouver de très enthousiasmant à expliquer à propos de ce passage de (seulement 43m de long et 10m de large) qui traverse des immeubles construits à la fin des années 1970 et au début des années 1980 dans un goût assez contestable pour le cœur de Paris.
Cependant ce qui m'a interpelé c'est la mention que l'on trouve sur les plaques de cette rue et qui évoque un "privilège accordé aux marchandes de linge par Saint-Louis" :
Le passage des "Lingères" est une dénomination très récente : il est apparu dans la nomenclature de Paris par un arrêté municipal du 21 avril 1985, très longtemps après la mort de Louis IX (roi de 1226 à 1270).
En regardant un plan Turgot des années 1730, on peut observer qu'il existait dans ce quartier une assez longue rue appelée la rue de la Lingerie :
Cela m'a conduit à consulter le dictionnaire administratif et historique des rues de Paris de 1844 et de retrouver de quel privilège il s'agissait :
Ce privilège évoqué par la plaque évoque donc un privilège accordé par Louis IX permettant aux marchandes de linge d'étaler leurs produits le long de la partie Ouest du cimetière des Innocents. Comme cela est expliqué ce lieu de vente du linge a existé jusqu'au milieu du XVI siècle puisqu'Henri II (roi de 1547 à 1559) a décidé de le supprimer pour y construite des maisons.
Quand on regarde le plan dit "de Bâle" qui représente Paris au milieu du XVIe siècle, on se rend compte que le côté impair de la rue était construit mais pas encore le côté pair, le long du cimetière des Innocents :
L'ensemble du quartier a été détruit dans les années 1970 et je pensais donc pouvoir simplement conclure que le "passage des lingères" était construit à l'emplacement de la rue de Lingerie que j'ai située ici sur une vie des Halles en 1974 :
mais cela aurait été inexact...
En effet, la rue de la lingerie a été élargie et reconstruite plusieurs fois. Voici son aspect sur un plan des années 1860 après la constuction des Halles de Baltard :
et voici une vue prise par Charles Marville entre 1865 et 1868 :
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Charles Marville : la rue de la Lingerie
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Sur cette photographie on voit en arrière plan la rue de la Ferronerie (voir l'agrandissement ci-dessous).
Cela m'a permis de m'achever de me convaincre que la rue de Lingerie était située quelques centaines de mètres plus à l'Est que le passage des Lingères. En effet, celui-ci n'est pas situé à la hauteur de la rue de Ferronnerie mais le long de l'actuel rue des Halles dans le prolongement de la rue des Bourdonnais.J'ai représenté l'emplacement où se trouvait l'actuel passage sur le plan Turgot des années 1730 par une étoile :
Une rue avait été percée par la suite à cet endroit. On la voit par exemple sur un plan cadastral du début du XIXe siècle. Elle avait pour nom la rue Lenoir :
Et on peut se reporter à nouveau au
Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris de 1844 pour savoir plus à son sujet :
On y apprend plusieurs informations intéressantes : cette rue Lenoir (plus précisément Lenoir -Saint-Honoré car il y avait une autre rue Lenoir ailleurs dans Paris) avait été percée en 1787. Elle était située en partie à l'emplacement d'un autre "petit passage" : le passage de l’Échaudé. Elle rendait hommage à Jean-Charles-Pierre Lenoir (1732-1807) ce qui m'a amusé car j'ai été un lecteur assidu des enquêtes menées par Nicolas Lefloch sous la plume du regretté Jean-François Parot et le lieutenant-général de police joue un rôle important dans le récit de nombreux volumes de cette saga. (Il existe aujourd'hui une rue Richard Lenoir mais il n'a aucun rapport avec le lieutenant-général).
Voici donc sur la vue aérienne de 1974 l'emplacement du "passage des Lingères". On voit qu'il est plus situé à l'emplacement de rue Lenoir que la rue de la Lingerie :
Pour faire simple, on peut donc dire que le passage des Lingères évoque un privilège du roi Louis IX qui avait permis à des marchandes de linge de vendre leur produit tout près de là le long du cimetière des Innocents ce qui a été possible du XIIIe au XVIe siècle.
Il est intéressant de noter qu'il subsiste une toute petite partie de la rue de la Lingerie située entre la rue des Halles et la rue des Innocents :
Cela permet aussi de se rendre compte du fait le "passage des Lingères" n'est pas du tout à l'endroit où se trouvait la partie de la rue de la Lingerie qui a disparu.