vendredi 10 octobre 2025

MMDCCCXXXIX : Les façaces de Paris centre : L'école du 42, rue Dussoubs. Une école inauguée en grande pompe en novembre 1911

  

En consultant le Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, dans son édition du 11 décembre 1911, j'ai découvert le compte-rendu sur plusieurs pages de l'inauguration d'une école de Paris Centre : celle du 42, rue Dussoubs. Pour l'événement, un grand nombre de personnages officiels étaient présents, comme on peut le lire au début du texte :


 La cérémonie était présidée par le ministre de l'instruction publique et des Beaux-Arts, Théodore Steeg, né le 19 décembre 1868 à Libourne et mort le 19 décembre 1950 à Paris, il était député du 14e arrondissement de Paris sous l'étiquette des radicaux-socialistes, élu lors d'une partielle en 1904, et réélu en 1906 et 1910. Il été ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts du 2 mars 1911 au 14 janvier 1912. Il s'agissait de sa première présence dans un gouvernement mais il a par la suite obtenu de très nombreux portefeuilles ministériels et a été président du Conseil du 12 décembre 1930 au 22 janvier 1931. En juillet 1940, il a ait partie des sénateurs qui se sont abstenu lors du vote des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain

Parmi les discours, celui du conseil municipal du quartier Bonne Nouvelle, M. Rebeillard* est intéressant car il mentionne et rend hommage à l'architecte de l'école, un dénommé M. Rous :

La façade, assez sobre, a énormément de charme avec de la brique très sobre mais de très belles polychromie et des volumes agréables avec les deux parties surélevées à gauche et à droite.

Un décor végétal très sobre montre un goût qui annonce le style Art Déco (loin des excès de l'exubérance du style Art Nouveau très en vogue la décennie précédente)  :

 Concernant l'architecte, j'ai trouvé très peu d'informations complémentaires. Il avait pour prénom Jean. Jean Roux a aussi été l'architecte d'Habitations à Bon Marché (HBM) construites par l'Assistance Publique en 1913 dans le 13e arrondissement (voir article du Monde paru le 15 septembre 2016 : "Au pays des HBM").

* Étienne Rebeillard (1860-1942) a été conseiller municipal représentant du quartier Bonne nouvelle de 1896 à 1900 et de 1904 à 1935. Il a été président du conseil général de la Seine de 1931 à 1932.


 

dimanche 5 octobre 2025

MMDCCCXXXVIII : Au 36, rue de Poitou, un thermomètre qui symbolise la réussite éphémère de celui qui a mis au point le pagoscope

 

Au 36, rue de Poitou (Paris 3e), on peut voir sur la façade un de ses nombreuses curiosités qui font le charmes de Paris : au 1er étage, entre les deux fenêtres, on peut voir un énorme thermomètre :

Je ne lui avais pas encore consacré d'articles car il a déjà fait l'objet de parutions sur de nombreux autres blogs de qualité :

- Des usines à Paris, article du 18 septembre 2012 : "Le thermomètre de la rue de Poitou" 

- Paris Bise Art, article du 5 décembre 2012 : "Le gros thermomètre de la rue du Poitou".

- Vivre le Maris, article du 21 juillet 2013 : "Le thermomètre géant de la rue de Poitou (IIIe) 

- Paris, maman et moi, artiche du 20 août 2013 : " le thermomètre géant de la rue du Poitou".


 Tous ces articles mentionnaient un personnage appelé Lucien Bernel-Bourette qui a mis au point le pagoscope, un thermomètre permettant de savoir s'il allait geler dans la nuit. Voici une définition dans un Larousse Universel en deux volumes de 1922 :

Voici un prospectus de 1913 qui permet de savoir à quoi ressemblait le pagoscope :

On peut trouver sur Internet des pagoscopes en vente comme objet de curiosité, ce qui permet de voir les couleurs vives de cet instrument :


 Je me suis demandé dans un premier temps comment un tel commerce avait pu se développer dans un si petit immeuble puis et surtout ce que l'on pouvait savoir sur ce Lucien Bernel-Bourette, dont aucun article ne mentionnait la date de naissance ou de mort.

J'ai d'abord utilisé une source pour vérifier le type d'entreprise qui se trouvait au 36, rue de Poutou. J'ai consulté l'almanach Paris-Hachette de 1904 faisant la liste de toutes les entreprises de Paris de Paris. Bernel-Bourette y est mentionné en tant que commerçant d'optique :

Complètement par hasard, j'ai aussi découvert un journal indien édité à Calcutta, l'Amrita Bazar Patrika paru le 16 mars 1905. Dans un article concernant les progrès scientifiques, le pagoscope est mentionné et décrit. Il donne l'adresse du 36, rue de Poitou :

Une découverte mentionné jusqu'en Inde... je me suis dit que Lucien Bernel-Bourette avait dû avoir une certaine notoriété. J'ai été très surpris en me rendant compte que très peu (voire pas du tout) d'informations étaient données le concernant. 

Grâce à l'aide de @Sfefdesvosges, j'ai pu retrouvé un premier document intéressant. L'acte de mariage de Lucien Bernel et d'Adeline Bourette célébré le 14 juin 1900 à la mairie du 3e arrondissement :

On y apprend

1. Que Lucien Bernel était né à Nancy, le 12 décembre 1872. Il avait donc 27 ans au moment de son mariage en 1900.

2 Qu'au moment de son mariage, il est décrit comme "représentant de commerce".

3. Qu'il habitait au 4, passage Saint-Pierre Amelot. On apprend plus loin dans l'acte qu'il s'agit aussi de l'adresse de son frère plus âgé que lui, Charles Bernel qui était "fabricant de meubles".

4. Que le 36, rue de Poitou était l'adresse des parents d'Adeline Bourette (on en déduit donc que Lucien Bernel s'est installé avec son épouse au domicile de ses beaux-parents).

5. Que le père d'Adeline Bourette, Henri François Louis Bourette (qui donc habitait 36, rue de Poitou) était fondeur.

Les registres d'état civil du 3e arrondissement montrent que les époux Bernel-Bourette ont, au moins, eu deux enfants. Il est intéressant de voir les changements dans la profession indiquée pour le père.

- L'aîné, Lucie Marie Anna Bernel est née le 9 avril 1901. Lucien Bernel y est toujours décrit en tant que "représentant de commerce". Son beau-père Henri Bourette qui est mentionné comme témoin habite toujours au 36, rue de Poitou et il est toujours "fondeur" :

- Un frère, Henri Charles Georges Bernel, est né trois ans plus tard, le 9 juin 1904. Le père est désormais mentionné comme "industriel". Son beau-père a pris sa retraite. Il est devenu rentier et il habite à Villiers-le-Bel. Le frère de Lucien Bernel, Charles est lui aussi mentionné en tant qu'"industriel". Il semble donc que l'ensemble de la famille ait progressé dans la hiérarchie sociale :

Comme indiqué sur le site "des usines à Paris", l'entreprise Bernel-Bourette a déménagé au 84, boulevard Beaumarchais, avec un accès par le 73, rue Amelot. Lucien Bernel a ainsi pu développer son activité grâce à la mise au point du pagoscope.

Un hôtel, avec un revendeur de vin, s'est installé au 36, rue de Poitou. Il est mentionné sur l'almanach Paris-Hacette de 1913 :


 L'entreprise Bernel-Bourette est indiquée au 84, boulevard Beaumarchais avec comme activité la production de "plaques en relief et thermomètres" :

 

Cependant, si Lucien Bernel-Bourette semble avoir gagné en aisance sociale, il en a profité très peu. @Stefdesvosges a retrouvé son acte de décès. Il est mort à Villejuif le 29 mars 1916. Il y est décrit désormais comme un commerçant :

Lucien Bernel-Bourette est donc décédé à l'âge de 43 ans. Son ascension sociale s'est ainsi arrêtée brutalement et cela explique, peut-être, pourquoi il est difficile de trouver des informations sur lui.

Reste son nom et celui de son épouse en haut du thermomètre du 36, rue de Poitou :


mardi 30 septembre 2025

MMDCCCXXXVII : Une peinture qui permet de voir un édifice oublié : le pavillon de la duchesse de Maine à l'Arsenal


 Au musée des Beaux-Arts de Tours, mon attention a été retenue par ce tableau de Jean-Pierre-Louis-Laurent Houël (1735-1813) car il a pour titre Vue de la Seine devant les jardins de l'Arsenal à Paris. Il a été peint en 1769.

En reprenant un plan Turgot des années 1730, j'ai retrouve un élément du tableau qui permet de bien le situer dans le Paris du XVIIIe siècle. Un endroit appelé sur le plan "La pointe de l'Arsenal" :


On retrouve le bâtiment qui apparaît sur le plan dans le tableau et il est représenté de manière très semblable :

Le catalogue raisonné des peintures du XVIIIe siècle du musée des Beaux-Arts de Tours rédigé par Sophie-Joint Lambert et paru en 2008 nous apprend que cette construction avait été édifiée en 1729 pour la duchesse du Maine par l'architecte Boffrand.

Ce pavillon a été représenté, en 1741, par Charles Germain de Saint-Aubin :

La duchesse du Maine était une femme très puissante au XVIIIe siècle : Louise-Bénédicte de Bourbon, née le 8 novembre 1676 et décédée le 23 janvier 1753 était la fille d'Henri-Jules de Bourbon-Condé donc membre d'une branche cadette de la dynastie des Bourbons. Elle était surtout l'épouse du duc de Maine, Louis-Auguste de Bourbon (1670-1736), fils bâtard légitimé du roi Louis XIV. En 1719, lors de la conspiration de Cellamare, il complota contre son cousin le régent Philippe d'Orléans ce qui lui valu d'être emprisonné tout comme son épouse (qui l'avait fortement incité à s'impliquer dans cette intrigue). 

L'Arsenal était une des résidences du duc de Maine car il avait été nommé en septembre 1694 Grand maître de l'Artillerie. Le pavillon de la duchesse de Maine n'était qu'un petit édifice par rapport au reste des bâtiments :

 Dans un article écrit en 1970 dans Bulletin Monmental, Jean-Pierre Babelon a publié des plans du pavillon de la duchesse de Maine. Il était composé par un vaste salon donnant face à la Seine :

La façade à pans coupés de ce salon faisait face à la Seine avec une terrasse en bord du fleuve.


 La partie que l'on peut voir sur la peinture de Houël exposée au musée des Beaux-Arts de Tours est la façade Est qui devait avoir une très belle vue puisqu'elle donnait vers Paris.

 

En 1769, ce pavillon de la duchesse de Maine, passé aux mains du duc de Choiseul fut transformé en maison de bain. Situé en amont de la Seine, par rapport à Paris, il permettait d'y profiter d'une eau plus pure qu'en aval. Cela explique que l'oeuvre ait fat partie des collections du château de Chanteloup (où Choiseul avait dû d'exiler après sa disgrace) qui ont fait l’objet d'une saisie révolutionnaire en 1794.

 Au 1er plan du tableau, on peut voir le bord de Seine :

Il s'agit du bras de Seine vue depuis la pointe de l'île Louvier (ou des Louviers) [rattachée à la rive droite en 1843] ou depuis l'estacade qui reliait cette île à la rive droite :

Une partie du paysage semble relever de l'imagination de l'artiste. Par exemple sur la gauche, on voit un clocher avec une flèche :


A cet endroit, on devrait trouver l'hôpital de la Salpétrière comme on le voit sur plan Turgot :

Ce n'est pas une flèche que l'on devrait voir mais une coupole :

Autre élément qui semble relever de l'imagination : la sinuosité du bord de Seine sur la rive droite en amont du pavillon de la Duchesse de Maine :


Aucun plan d'époque ne montre une telle irrégularité de la Seine comme par exemple sur le plan Jaillot révisé en 1770 (un an après l'année où Houël a peint ce tableau) :
Le tableau de Houël est donc très intéressant pour ce qui concerne l'aspect du Pavillon de la duchesse de Maine mais me semble un peu plus approximatif concernant le reste du paysage et relève des qualités créatives de l'artiste.

 

jeudi 25 septembre 2025

MMDCCCXXXVI : Les façades de Paris centre : au 40 bis, rue Meslay une façade Art Déco qui mène sur les traces d'un concurrent des Frères Lumières

 

Voici un nouvel épisode de la série sur les façades de Paris Centre. La rue Meslay (Paris 3e) est une rue dans laquelle on trouve un certain nombre de façades anciennes, avec un grand nombre de constructions du XVIIIe et du XIXe siècle. Mon attention a été attirée par la façade en saillie que l'on trouve au 40 bis. En effet, celle-ci semble plus récente avec son avancée à partir du 2e étage et sa double oriel central à partir du 3e étage :


 Le revêtement en briques et les formes laissent penser qu'il s'agit d'un immeuble Art Déco.

Cependant, je ne pensais pas trouver d'information passionnante à son sujet et, finalement, j'ai été très surpris. J'ai cherché le permis de construire et j'ai découvert que celui concernant aussi le 33, boulevard Saint-Martin et que l'ensemble de l'espace entre cette adresse et le 40 bis, rue Meslay avait été construit d'un seul tenant.

Le permis a été déposé, le 5 février 1913, par un architecte nommé Delaire, dont l'adresse indiquée était à Issy-les-Moulineaux. Cela m'a permis de retrouver de qui il s'agissait : Émile Delaire, qui était né en 1868 et est mort en 1923. Cet architecte a principalement travaillé pour la ville d'Issy-les moulineaux dont il était "architecte-voyer".

Cette information m'a permis, complètement par hasard, de retrouver sur le site de la Cité de l'Architecture le plan en coupe de la construction :

On se rend ainsi compte que le 40 bis, rue Meslay est construit dans un ensemble qui comprend une salle de spectacle dont l'entrée se fait par le 33, boulevard Saint-Martin. Le nom du propriétaire qui apparaît en haut de cette coupe est le même que celui qui apparaît sur le permis de construire : Mazo.

Une recherche complémentaire m'a permis d'apprendre qu'il s'agissait d'Elie Mazo (1861-1936) qui a été fabricant d'objets optiques, d'appareils de projection et un éditeur de plaques. Un personnage important dans l'histoire du cinéma, dont je n'avais jamais entendu parler, et dont le parcours apparaît parallèle à celui des frères Lumière. Je lui consacrerai un article à propos de la façade du 33 boulevard Saint-Martin (qui est assez différente du 40 bis, rue Meslay).

Je publie ci-dessous la partie gauche de la coupe dessinée par l'architecte Émile  Delaire car c'est celle-ci qui correspond au 40 bis, rue Meslay, auquel cet article est consacré :

vendredi 19 septembre 2025

MMDCCCXXXV : Les statues du Louvre (31e volet) : Sully par Gabriel-Vital Dubray

 

Voici le 31e épisode de la série relative aux statues qui décorent la cour du Louvre. Il concerne la statue de Sully l'on peut voir sur la rotonde de Beauvais  :

La statue de Sully est la première en partant de la gauche :

Maximilien de Béthune, duc de Sully,  est né le 13 décembre 1559, à Rosny-sur-Seine,  et il est mort à Villeblon (Eure-et-Loire), le 22 décembre 1641. Il a été le principal ministre d'Henri IV (roi de 1589 à 1610). Il a exercé la charge de surintendant des Finances à partir de 1598 et de Grand maître de l'Artillerie et de Grand voyer à partir de 1599. Il a été élevé au rang de pair et duc de France en 1606. 

C'est en allant lui rendre visite, à l'Arsenal, que le roi Henri IV est assassiné le 14 mai 1610. En désaccord avec la régente, Marie de Médicis, Sully démissionne de ses charges en 1611. 

Il est considéré comme le responsable du redressement économique de la France, après les ruineuses guerres de religion. Sa maxime la plus célèbre est 'labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France". Ce n'est pas un hasard si à l'arrière de la statue, on peut voir une gerbe de blé :


 La statue est une oeuvre de Vital Gabriel Dubray. Ce sculpteur est né à Paris le 27 février 1813 et il y est mort le 1er octobre 1892 dans le 16e arrondissement de Paris. Son acte de décès mentionne qu'il était officier de la Légion d'Honneur :

Son oeuvre la plus célèbre est la statue équestre de l'empereur Napoléon Ier sur la place de l'Hôtel de Ville de Rouen. On lui doit aussi la statue du juriste François-Denis Tronchet à l'Hôtel de Ville (voir article du 21 août 2009).

La statue originale de Sully était très dégradée. Elle a été remplacée par une copie entre 1985 et 1992.