La rue du roi de Sicile est une des rues de Paris Centre à laquelle j'ai déjà consacré un article en 2010 (voir article du 26 mars 2010). Je lui à consacre à nouveau le 2500e article paru depuis mars 2008 car j'ai un très grand attachement pour cette rue.
Les raisons de mon attachement tout particulier à cette rue
J'ai habité tout près de cette rue pendant près de 18 ans. Or à chaque fois que je la parcourais, je repensais à l'époque pendant laquelle j'étais étudiant en Histoire à la Sorbonne. En effet, en maîtrise j'ai consacré un an à la rédaction d'un mémoire qui avait pour thème "Le Liber de regno Sicilie et la vie politique à Palerme de 1154 à 1168" ce qui m'a conduit à avoir une connaissance très approfondie de deux rois de Sicile : Guillaume Ier (roi de Sicile de 1154 à 1166) et son fils Guillaume II. Cela explique que pendant longtemps j'ai même voulu habiter dans cette rue.
Une rue d'un peu plus de 400m de long
La rue du roi de Sicile mesure aujourd'hui 412m de long (la suite montrera que la par le passé elle était plus courte). Elle part à l'Est de l'actuelle rue Malher (ci-dessous une vue de cette partie de la rue du roi de Sicile en regardant vers l'Ouest) :
Elle se prolonge à l'Ouest jusqu'à la rue du Bourg Tibourg (ci-dessous une vue depuis cette extrémité en regardant cette fois vers l'Est).
Cette rue porte ce nom en raison du fait qu'un roi de Sicile y aurait eu sa résidence...
L'histoire très particulière du Royaume de Sicile.
Ce royaume a été fondé au XIIe siècle comme l'aboutissement d'une saga familiale aujourd'hui un peu oubliée : celle des Hauteville. Les membres de cette famille normande (Hauteville est aujourd'hui situé dans le département de la Manche) s'était taillé de vastes fiefs dans le Sud de l'Italie et en Sicile (île qu'ils ont reconquis sur Arabes) au XIe siècle. Le membre le plus important a été le comte de Sicile Roger II de Hauteville (1095-1154). En effet, celui-ci a réussi à réunir tous les fiefs conquis par les Normands ainsi que les États Lombards et les principautés locales du Sud de l'Italie. Cela lui a permis de réussir un geste politique qui n'avait pas été fait en Europe de l'Ouest depuis l'arrivée des peuples "barbares" aux Ve / VIe siècles : la création d'un royaume. Il se fit en effet sacrer roi de Sicile le 25 décembre 1130 dans la cathédrale de Palerme.
Ce royaume s'étendait sur toute l'Italie du sud actuelle :
Il avait aussi quelques possessions en Afrique du Nord. A la mort de Roger II en 1154, son dernier fils survivant, Guillaume Ier (1125-1166) a hérité du trône. Son règne a été marqué par de nombreuses révoltes mais il a transmis le royaume (non sans perdre les territoires d'Afrique) à son fils, Guillaume II (1166-1190). Ce dernier est mort sans enfant.
L'héritière légitime, Constance de Hauteville, petite-fille de Roger II , après encore bien des péripéties, s'est imposée en 1994 sur le trône de Sicile avec le soutien de son mari : l'empereur du Saint-Empire-romain-germanique Henri VI de Hohenstaufen. Mais celui-ci, Henri Ier (en tant que roi de Sicile) est mort en 1197 tandis que son épouse Constance décédait un an plus tard en 1198. Ils laissaient un héritier tout jeune, Frédéric né le 26 décembre 1194, qui allait faire parler de lui...
En effet, Frédéric II une fois devenu adulte a cumulé le titre de roi de Sicile et d'empereur du Saint-Empire-Romain-Germanique. Il dominait donc toute l'Europe centrale et l'Italie. La puissance de ce formidable souverain (il a été surnommé "Stupor Mundi") faisait de l'ombre aux autres dirigeants de l'époque et notamment au pape. De plus, il réussit par d'habiles négociations avec les Musulmans (et donc sans faire la guerre) à récupérer le contrôle de la ville de Jérusalem en 1229 (qui avait été perdue par les Croisés après la défaite de Hâttin en 1187).
A la mort de Frédéric II en 1250, son fils Conrad lui succéda (Conrad IV en tant qu'empereur et Conrad Ier en tant que roi de Sicile), mais il disparut au bout d'un règne très court en 1254. Il ne laissait qu'un fils surnommé Conradin né en 1252. Or ce dernier était lui aussi considéré comme l'ennemi du Souverain pontife car il risquait une fois adulte de reconstituer la puissance de son grand-père. Urbain IV pape de 1261 à 1264 proposa la couronne de Sicile à Charles d'Anjou (1227-1285). Celui-ci n'avait aucun lié de parenté avec la famille des rois de Sicile mais il était frère du roi de France Louis IX (l'un des souverains les plus prestigieux du XIIIe siècle). C'est ce Charles d'Anjou qui est à l'origine de la "rue du roi de Sicile".
En effet en tant que duc d'Anjou, il possédait un hôtel particulier dans la partie la plus à l'Est de l'actuelle rue [à l'emplacement où par la suite a été construite au XVIIIe siècle la prison de la Force (voir article du 30 décembre 2016)]. Cette résidence aristocratique était située dans l'angle Nord-Est de l'enceinte de Philippe Auguste (édifiée à la fin du XIIe siècle) :
Le lien entre le Duché d'Anjou et le Royaume de Sicile jusqu'au XVe siècle
Charles d'Anjou partit pour l'Italie en 1265 (c'est donc certainement en 1265 qu'il a mis les pieds pour la dernière fois dans l'Hôtel qui a donné son nom à la rue). Il a été couronné roi de Sicile à Rome en janvier 1266. Puis, en févier 1266, il l'emporta sur les troupes fidèles aux Hohenstaufen lors de la bataille de Bénévenent. Deux ans plus tard, en 1268, il vainquit le malheureux Conradin (à peine âgé de 16 ans), le fit prisonnier et le fit exécuter à Naples le 29 octobre 1268. Cette condamnation à mort provoqua un tollé contre Charles d'Anjou. Cela explique peut-être pourquoi en 1282, lors des "Vêpres Siciliennes", les nobles de l’ile se révoltèrent contre sa domination et passèrent par le fil de l'épée la plupart des ressortissants français. Charles d'Anjou, officiellement "roi de Sicile" ne dirigea plus jusqu'à sa mort -en 1285- que la partie continentale de l'Italie du Sud depuis la ville de Naples. Les nobles siciliens offrirent alors la couronne au roi d'Aragon Pierre III (qui prit le titre de Pierre Ier de Sicile) qui, lui, était apparenté à la famille des Hauteville.
Les descendants de Charles d'Anjou ne furent donc roi de Sicile que nominalement puisqu'en fait ils étaient rois de Naples dès. Il y avait un roi de Sicile régnant dans cette ville et un autre de la famille d'Aragon à Palerme. Le lien entre le titre de Duc d'Anjou, de roi de Sicile (et de comte de Provence) se perpétua pendant 150 ans jusqu'au très célèbre "roi René" (1409-1480). Celui-ci finit par perdre le royaume de Naples en 1442,quand le roi d'Aragon et de Sicile, Alphonse Ier réussit à prendre le contrôle la fois de la Sicile qui avait pour capitale Palerme et de celle qui avait pour capitale Naples (d'où l'étrange nom donné au XIXe siècle à cet Etat : le "Royaume des deux Siciles"). Quant à la famille d'Anjou descendante de Charles Ier d'Anjou, elle s'éteignit avec Charles V (1446-1481). A la mort de celui-ci ses fiefs revinrent à la famille de France.
La rue du roi de Sicile n'a donc jamais été véritablement la résidence du roi de Sicile mais celle de la famille d'Anjou alors qu'elle avait pris le titre de roi de Sicile à la fin du XIIIe siècle, situation qui se perpétua jusqu'au début du XVe siècle mais alors elle était principalement établie en Italie.
Une rue qui a changé brièvement de nom pendant la Révolution française
La rue du roi de Sicile a pris le nom pendant la Révolution française, en 1792, de "rue des Droits de l'Homme" comme cela est rappelé sur plusieurs plaques de la rue :
Ce changement ne date pas de 1789 comme cela est indiqué sur la plaque mais de 1792 suite à la chute de la Monarchie en août puis à la proclamation de la République en septembre. On peut comprendre que le "
roi de Sicile" n'était plus alors un nom très prisé puisque le roi de Sicile de l'époque, Ferdinand IV (1751-1825) était un Bourbon, cousin du roi Louis XVI, et surtout il était marié avec Marie-Caroline d'Autriche (1752-1814)... soeur de la reine Marie-Antoinette !
La rue a repris son nom de rue du roi de Sicile en 1806 sous le Premier Empire, à une époque, où la police napoléonienne avait fait passer l'envie d'évoquer les droits de l'Homme. On peut noter que la dernière reine, la femme de Louis-Philippe (roi des Français de 1830 à 1848), Marie-Amélie (1782-1866) était elle-même la fille du roi de Sicile, Ferdinand IV, devenu par le traité de Vienne de 1815, Ferdinand Ier "roi des deux Siciles".
L'historique de la rue...
Le plan de Bâle du milieu du XVIe siècle montre que la "rue du roi de Sicile" était beaucoup plus courte que la rue actuelle entre la rue des Ecouffes et la rue des Ballets (actuelle rue Malher) :
La partie Ouest de la rue, à partir de la rue des Ecouffes, portait le nom de rue Bouquetonne. La rue du roi de Sicile était donc à l'époque beaucoup plus courte qu'aujourd'hui :
La rue Bouquetonne" n'apparaît plus sur la plan Turgot des années 1730 qui montre des modifications importantes survenues entre le XVIe et le XVIIIe siècle :
La rue du roi de Sicile s'étendait alors de la rue des Balets à la rue Vieille du Temple, c'est-à-dire un peu plus vers l'Ouest par rapport au XVIe siècle. Elle avait toujours cette longueur (329m)
dans la description du Dictionnaire Historique et Administratif des rues de Paris en 1844 :
L'actuelle partie Ouest de la rue (entre la rue Vieille du Temple et la rue du Bourg Tibourg) avait un aspect alors très étonnant puisqu'elle se divisait en deux voies parallèles que l'on peut voir sur le plan Turgot :
Voici un agrandissement pour mieux s'en rendre compte où l'on voit la rue "de la Croix Blanche" et la "rue de Bercy".
La rue de Bercy avait un aspect particulièrement étonnant puisqu'elle était surmontée par trois arches qui reliaient les deux côtés de la rue :
Le Dictionnaire Historique et Administratif des rues de Paris nous apprend qu'en 1837, il avait été décidé de supprimer la rue de Bercy et d'élargir la rue de la Croix Blanche. Il est précisé que cette voie étroite était fermée par une grille.
Cette rue a définitivement disparu à l'époque des travaux Haussmanniens lors du prolongement un peu plus au Sud de la rue de Rivoli. La rue de Croix Blanche a été élargie et a été intégrée à la rue du roi de Sicile en 1868.
Pour résumer :
1. La rue du Roi de Sicile porte ce nom même si aucun roi de Sicile n'y a vécu puisque Charles d'Anjou qui y possédait un Hôtel particulier dans sa partie la plus à l'Est était parti en Italie quand il est devenu roi de Sicile.
2. La rue du Roi de Sicile était initialement plus courte. Jusque dans les années 1860, elle mesurait 329m. Ce n'est qu'en 1868 qu'elle été prolongée en direction de l'Ouest pour prendre sa longueur actuelle (414m).
P.S. On trouve dans cette rue au numéro 58, un superbe immeuble de l'entreprise de Casquette SOOL auquel j'ai consacré un article en mai 2016 et où depuis est installé un hôtel de bon standing.