J'ai publié le 24 avril dernier un article pour annoncer le lancement par @Baptiste75004 (Baptiste Gianeselli) de la pétition sauvons les squares de Notre-Dame. Près de quatre semaines plus tard, elle approche des 50 000 signatures. Je reproduis ici sous forme d'article deux excellents fils twitter que Baptiste a publiés sur Twitter les 17 mai et 18 mai. Cela permet de comprendre l'importance capitale d'un des squares concernés par les projets de la mairie de Paris, le square de l'Île-de-France, à la pointe Est de l'île de la Cité
Voici donc le contenu de son fil (avec son accord) avec les illustrations qui l'accompagnait :
Le square de l’Île-de-France n’est pas seulement un écrin pour le Mémorial des Martyrs de la Déportation, il en fait partie.
Présentation de cet extraordinaire lieu de recueillement et explications des menaces qui pèsent sur lui. SOMMAIRE
1. Description du site
2. À l’origine du Mémorial
3. Visite guidée
4. Le projet de la mairie de Paris
1. Description du site Créé en 1914, le square de l’IDF se situe à la pointe est de l’île de la Cité, dans le prolongement du square Jean-XXIII. Il est clôturé de haies d’ifs et de grilles hautes. Il a deux ouvertures : au nord et au sud. Tout ceci est pensé, nous le verrons.
Le long du muret nord sont plantés plusieurs vieux pieds de vigne vierge. Cette vigne étend son feuillage sur le mur du quai marquant ainsi ce paysage exceptionnel de touches colorées évoluant au fil des saisons.
Le square abrite plusieurs beaux arbres : quatre majestueux mûriers permettant aux riverains et visiteurs de profiter d’une grande zone d’ombre durant les jours chauds et ensoleillés ainsi qu’un saule pleureur dédié aux victimes du nazisme.
Le long de la haie et des mûriers, une rangée de bancs fait face à une grande pelouse protégée (inaccessible) où sont plantés deux massifs de rosiers. En second plan, derrière ces massifs, se trouve la dalle du Mémorial lui servant de toit (nous y reviendrons).
Ces rosiers « Résurrection », variété créée par l’Amicale de Ravensbrück, ont été plantés le 26 avril 1975 par Anémone Giscard d’Estaing, en hommage à la résistance et à la déportation, pour le 30e anniversaire de la libération des camps de concentration.
Ci-dessous, la maire de Paris, Anne Hidalgo,se recueillant sur la pelouse du square, face à la dalle du Mémorial, lors de la Journée nationale du souvenir des victimes de la déportation, le 30 avril 2023.
2. À l’origine du Mémorial
En 1953, le Réseau du Souvenir, association d’anciens déportés, décide de faire élever à Paris un monument destiné à perpétuer le souvenir des Français déportés dans les camps nazis. Après avoir décidé de l’emplacement extraordinaire du monument - la pointe orientale de l’île de la Cité - le Réseau du Souvenir se mit d’accord sur les formes qu’il fallait lui donner. Le monument devait se rapprocher de la forme d’une dalle mortuaire invitant le passant à s’y recueillir. Cette dalle serait le toit d’une crypte à l’intérieur de laquelle on pourrait accéder à un recueillement plus intime.Le Réseau du Souvenir, présidé par Jean Cassou - conservateur en chef du Musée national d’Art moderne - choisit comme maîtres d’œuvre l’architecte Georges-Henri Pingusson et le sculpteur Raymond Veysset. Le Mémorial des Martyrs de la Déportation fût inauguré le 12 avril 1962 par le général de Gaulle, alors Président de la République.
C’est un véritable chef-d’œuvre architectural, l’un des plus grands de son siècle.
3. Visite guidée
Situé en bordure de Seine, le Mémorial fait office de « proue de navire ».
On entre par le Mémorial par l’entrée sud du square. On en ressort par le nord. Ce parcours a été pensé par Pingusson, nous allons le voir en images.
La haie d’ifs (charge symbolique car traditionnellement présente dans les cimetières) permet d’isoler le Mémorial du tumulte extérieur et répond à l’exigence d’une découverte progressive du site, avec la volonté de ne pas être totalement ouvert et immédiatement visible. Pingusson a donc imaginé un parcours pour appréhender ce monument. Une fois passé le sas sud, nous entrons dans la « phase du silence ». Celle-ci correspond à la traversée du jardin jusqu’à la descente de l’escalier latéral sud. En descendant l’escalier, nous entrons dans la « phase du dépaysement », de « rupture avec le monde des vivants ».
Nous nous retrouvons ainsi coupés du monde, face à une grande « herse hostile », face à laquelle le regard du passant « ne voit plus que l’eau qui divise l’enclos et un ciel toujours mouvant ».
« Seule une fenêtre ouverte dans la paroi laisserait voir la surface mouvante des eaux et les reflets enlacés et délacés éternellement ».
Ce contraste de fermeture de pierre et d’ouverture vers un monde étranger symbolise l’évasion impossible, sinon par la mort.
Les eaux qui bordent le Mémorial n’ont rien d’une mer nourricière, elles sont la rivière du désespoir et transforment un instant la Cité en île des morts.Une parenthèse pour noter que la distance apportée par la pelouse permet de préserver le silence au sein du monument. Les bruits résonnent facilement entre ces murs et s’engouffrent dans la crypte. On imagine donc mal des événements bruyants ou de la musique juste au-dessus…
Après avoir franchi la porte étroite de la crypte, commence la troisième et dernière phase du parcours, la « phase de présence ». Nous découvrons une salle hexagonale, qui rappelle l’étoile de David.
Sur la plaque au sol : « IIs allèrent à l'autre bout de la terre et ils ne sont pas revenus ».
Isolées et encastrées dans un mur noir, 200 000 lueurs symbolisent chacune un déporté. Elles veillent sur le tombeau du Déporté inconnu et débouchent sur un symbole d’espérance.
Je n’entrerai pas davantage dans les détails. Je vous recommande vivement de prendre le temps découvrir ce monument extraordinaire quand vous en aurez l’occasion. On le quitte bouleversé, par l’escalier nord. Chaque marche nous rapproche du ciel et de la vie.
On a alors la terrible impression de laisser ces milliers d’âmes derrière nous, dans la crypte, tandis qu’on retrouve progressivement le chant des oiseaux et que l’on voit se dessiner dans le ciel les tours de Notre-Dame. Ce retour très progressif à la vie a évidemment pensé.
« Notre-Dame, la Basilique de France, dont le symbole de protection, de permanence, de noblesse est peut-être l’essentiel du monument, dont le caractère national et pas seulement local est ainsi manifesté…
« On conçoit que le même monument réalisé sur un autre site, même analogue, perdrait une part immense de sa signification. »
La signification, le sens, la compréhension, l’humilité et le respect. Tout ce qui manque à ce projet… Poursuivons.
4. Le projet destructeur de la mairie
=> Le square est tronqué, la surface du jardin est considérablement réduite.
=> Les haies d’ifs sont arrachées et une nouvelle cloture ajourée est installée au ras des muriers, à l’emplacement de l’actuelle pelouse et de l’un des massifs de rosiers.
=> Le sol est rehaussé pour créer un « belvédère » qui nécessitera d’arracher les pieds de vigne vierge. Cela menace également les arbres du square car (d’après les spécialistes) ajouter plusieurs dizaines de centimètres de terre au pied d’un arbre revient à le mettre en danger.
=> La clôture qui aura des fondations solides frôle le tronc de certains arbres. Il est évident que leurs racines risquent d’être endommagées. La mairie ne tire aucune leçon du passée et reproduit les erreurs qu’elle a failli commette au pied de la Tour Eiffel.
=> Au passage, le PLU indique que l’ensemble de cet espace végétalisé est à préserver. J’ignore si cela est compatible avec arracher les haies où nichent les oiseaux, arracher la vigne, réduire la surface de pelouse et mettre en danger les arbres.
=> La nouvelle clôture offre « une très grande porosité garantissant une accessibilité et une visibilité maximale du Mémorial. » La pelouse où l’on se recueillait devient une aire de pique-nique. On s'en rend mieux compte grâce à ce plan envoyé par Jacques Desse (@JDSE)
Pointées en jaune ci-dessous, les limites de la pelouse actuelle. Elle n’est pas accessible et elle est protégée par des grilles basses.D
ans le projet, cette pelouse est tronquée et ce qu’il en reste est rendu accessible (notamment pour y pique-niquer).Sur le plan, en bleu, la partie souterraine du Mémorial des Martyrs de la Déportation. Cette partie correspond au couloir où se trouvent les 200 000 bâtonnets de verre symbolisant les victimes de la déportation, ainsi que la tombe du Déporté inconnu.
Et regardez où s’arrête la pelouse actuelle : à l’exacte limite de ce couloir. Ce n’est pas un hasard : on ne piétine pas une sépulture.
Dans le projet de la mairie, on ne semble pas tenir compte de cela : on peut pique-niquer au-dessus de ce couloir et de la tombe du Déporté inconnu.
Ces plans sont connus des concepteurs du projet : les futurs gradins s’arrêtent là où le couloir commence (certainement pour une raison technique). Concernant l’éthique, le respect de l’œuvre de Pingusson et de la mémoire des victimes de la déportation… on repassera.
=> « Le belvédère sera un espace extrêmement parcouru. Il est nécessaire d’y permettre le développement d’usages multiples et d’événements temporaires. »
Fini le jardin paisible, fini le recueillement. Bonjour la fête et la marchandisation.
Donc :
- Ce projet constitue une atteinte à la biodiversité du site.
- Ce projet constitue une atteinte évidente à l’œuvre de Pingusson et de ce fait à la mémoire des Martyrs de la Déportation.
Le projet de l’Atelier Jacqueline Osty & Associés consistait principalement à planter de nouveaux arbres dans le square. Rien n’était dénaturé, rien n’était détruit et la volonté de Pingusson était respectée. Mais ce projet fut écarté.
Nous demandons que ce square soit simplement entretenu. Ce site doit demeurer un lieu de recueillement et ne doit pas subir ce réaménagement qui le dénaturerait totalement tout en menaçant les arbres qu’il abrite.
Continuons de signer la pétition : Sauvons les squares de Notre-Dame !