samedi 7 mars 2015

MDXXIX : Refus d'une plaque à la Mémoire d'Henri Dutilleux... Un petit rappel historique pour les élus de la Majorité municipale

 


Lors du Conseil d'arrondissement de Décembre 2014, Jean-Pierre Plonquet (mélomane averti et candidat UDI aux municipales dans le 4e en mars 2014) avait demandé qu'une plaque soit apposée sur l'Île Saint-Louis à l'endroit où le grand compositeur français Henri Dutilleux (1916-2013) a  vécu une grande partie de sa vie.

Après avoir oublié de répondre à cette question en janvier, les élus de la majorité municipale ont expliqué lors du Conseil d'arrondissement du 2 mars 2015 que la pose de cette plaque n'était "pas possible pour le moment". Christophe Girard a donné la parole à la Conseillère de Paris PS du 4e, KarenTaieb, qui a expliqué que Henri Dutilleux était soupçonné de faits de Collaboration. On lui reproche d'avoir composé la musique d'un film collaborationniste "Forces sur le stade" (1941). M.Girard a ajouté des paroles accablantes en précisant qu'on ne pouvait poser des plaques en l'honneur des Juifs exterminés  et dans le même temps rendre hommage à d'autres personnes qui peuvent être considérées comme un mauvais exemple.  Il a fini en soulignant qu'il ne fallait pas que la moindre confusion soit possible dans l'esprit des enfants d'aujourd'hui.

La période de l'Occupation  est une époque, sur laquelle à mon avis, il est nécessaire d'être pour le moins prudent concernant le jugement que l'on peut avoir sur tel ou ou tel parcours..En effet, dans les heures sombres, chacun peut avoir eu avoir à faire des compromis, voire des compromissions. Certains grands personnages couverts d'honneurs par la suite se sont même laissés aller à recevoir la francisque des mains mêmes du Maréchal Pétain.

En ce qui concerne Henri Dutilleux, ce procès en Collaboration contre un des plus grands compositeurs français du XXe siècle relève purement et simplement de l'ODIEUX :

Pendant l'Occupation Henri Dutilleux a certes participé à des représentations à Paris devant la Wehrmacht (il était directeur du choeur de l'Opéra de Paris) mais il a toujours refusé de jouer pour la radio collaborationniste Radio Paris ce qui bien sûr ne manquait pas de courage (Comme cela est expliqué par un ouvrage universitaire récent très complet de de Chiara Lepora et Robert E Godin "On compromise and Complicity", Oxford University Press, 2013, page 126)

De plus, Henri Dutilleux a rencontré son épouse Geneviève Joy en participant  a un réseau de Résistance : Le Front National des Musiciens (comme cela est expliqué sur le site Holocaustmusic.org). Henri Dutilleux a rejoint ce groupe dès 1942 (une époque où être résistant n'était pas encore si répandu que cela)  C'est dans ce contexte qu'il a mis en musique le poème, "La Geole" écrit par Jean Cassou. Voir l'article du Monde Culture  du 26 mai 2011 dont je reproduit ci-dessous un extrait :

 "Jean Cassou, l'auteur du poème Eloignez-vous, est un symbole artistique de la Résistance. Incarcéré de 1941 à 1943 à Toulouse, il a interdiction d'écrire et n'a, comme le stigmatisera Aragon, "que la nuit pour encre, et le souvenir pour papier". Cassou parvient toutefois à concevoir et à mémoriser trente-trois sonnets que Les Editions de Minuit font paraître dans la clandestinité, en juin 1944 (en donnant à l'auteur le pseudonyme de Jean Noir). Henri Dutilleux en prend connaissance par le biais du Front national des musiciens, organe de résistance, qu'il rejoint en 1942. Il met aussitôt un des poèmes en musique sous le titre de La Geôle, qu'il dédie à son frère retenu en Allemagne dans un camp de prisonniers. Le baryton Gérard Souzay en assure la création le 9 novembre 1944 en compagnie de l'Orchestre national, dirigé par Manuel Rosenthal".

Un éventuel soupçon d'antisémitisme de la part de Henri Dutilleux semble pour le moins étonnant. En effet, alors que les Musiciens et les compositeurs Juifs étaient proscrits dans la France occupée, il a pris le risque de participer à un réseau clandestin qui organisait des concerts de compositeurs Juifs. : "Others worked to preserve Jewish music through a network of clandestine underground concerts. Concerts dedicated to the works of Darius Milhaud took place in occupied France and in Provence, hosted by Henri Dutilleux and Manuel Rosenthal, the Prince and Princess de Polignac, and the Comtesse Pastré, among others". (voir la page suivante)

S'il avait été un collaborationniste avéré, il est étonnant qu'Henri Dutilleux ait été choisi, en 1944  au moment de la Libération, comme Chef de chœur de la Maison de la Radio (voir article du Monde du 22 mai 2013). L'épuration n'a pas pour réputation d'avoir donné dans la demi-mesure pour tous ceux qui ont été soupçonnés d'être des "collabos". 

Je trouve vraiment affligeant  ce qui a été dit avec une telle légèreté dans l'enceinte publique qu'est un Conseil d'Arrondissement. Il est tellement facile de cracher sur la Mémoire de ceux qui ont vécu il y a plus de 70 ans pendant l'Occupation et qui ne peuvent plus se défendre aujourd'hui. En ce qui concerne Henri Dutilleux, la cible est pour le moins fort mal choisie.

Cet opprobre jeté sur Henri Dutilleux est d'autant plus surprenant qu'en décembre 2013 Christophe Girard avait présidé, en tant que maire, une soirée organisée à l'initiative de Jean-Pierre Plonquet dans la salle des fêtes de la mairie du 4e arrondissement pour célébrer la mémoire du compositeur disparu quelques mois plus tôt (voir mon article du 22 décembre 2013). En présence de sa famille et de ses proches, il avait tenu des propos très élogieux le concernant. Le maire du 4e arrondissement est encore une fois surpris à tenir des discours différents au gré du temps.

 [Addendum du 6 avril 2015 : Lire l'article paru le 6 avril 2015 : MDXLV : L'Honneur de Henri Dutilleux lavé de la suspicion]

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