Dans la partie Nord du Jardin des Tuileries, au pied du mur d'enceinte où est situé le Jeu de Paume, on peut voir un monument un peu à l'écart. J'ai décidé de lui consacrer cet article...
Ce monument, comme cela est indiqué, est dédié à Pierre Waldeck-Rousseau. Il date de 1909 et c'est une œuvre du sculpeur Laurent-Honoré Marqueste, sculpteur né à Toulouse le 12 juin 1848 et mort le 5 avril 1920 dans le 14e arrondissement de Paris (on lui doit aussi la statue de Pierre de Montreuil qui orne la façade de l'Hôtel de Ville (voir article du 25 mars 2011), l'achèvement de la statue équestre d’Étienne Marcel sur le quai de l'Hôtel de Ville (voir article du 16 avril 2008) et le monument en l'honneur du sculpteur Antoine Barye du square de l'Hôtel de Ville (voir article du 23 avril 2009). L'ensemble de la composition est due à l’architecte Gustave Rives (1858-1926).
Au centre, on peut voir un buste de Pierre Waldeck-Rousseau :
Sur la gauche, on observe deux personnages dénudés encadrés par une femme :
A l'arrière-plan, on reconnaît une allégorie de la République :
Il s'agit d'une évocation de la "Loi Waldeck-Rousseau" du 21 mars 1884 par laquelle la loi Le Chapelier de 1791 a été abrogée et les syndicats ont été autorisés. C'est pourquoi les deux personnages masculins représentent le monde ouvrier :
Pierre Waldeck-Rousseau est né à Nantes le 2 décembre 1846 et il est mort à Corbeil-Essonne le 10 août 1904. Il a notamment été ministre de l'Intérieur de février 1883 à avril 1885 (époque pendant laquelle il a fait voter la loi qui porte son nom) et Président du Conseil (équivalent actuel de Premier Ministre) de juin 1899 à mars 1902, époque à laquelle a été votée une loi très importante : celle sur la Liberté d'Association du 1er juillet 1901.
A sa mort, en août 1904, Pierre-Waldeck Rousseau était considéré comme un des pères des libertés acquises avec la IIIe République. J'ai retrouvé l'article à la Une du Petit parisien du 11 août 1904 qui est très élogieux envers Waldeck-Rousseau : "Il gouverna la France en exerçant la dictature du talent., et quand il lui plût de quitter le pouvoir, le pays se sentit dépouillé d'une auréole".
Il était annoncé que le gouvernement voulait organiser en son honneur des obsèques nationales. Or, dans le journal du lendemain, on apprenait que la famille avait refusé par modestie une telle cérémonie :
Il n'y eut donc pas d'obsèques nationales mais le gouvernement décida de faire ériger un monument dans le jardin des Tuileries. Le texte situé au centre à la base du buste rend un très bel hommage au personnage :
A gauche, on peut lire : "
Ce doit être le souci du législateur que de regarder
l'avenir, fils d'un républicain de 1848, je n'ai jamais d'ambition plus
chère que de donner à la République de 1848 cette revanche, la
République définitive" et à droite "
Nous avons choisi la liberté,
faisons-lui confiance avant de devenir sage, il faut avoir été longtemps
libre. Le législateur a fait son devoir, le temps fera son œuvre". Au centre on peut lire "
RF, Waldeck-Rousseau, Hommage
national, 1884 : loi sur les syndicats professionnels, 1899 : Défense
républicaine, 1901 : Loi sur les Libertés d'association".
Ce monument a été d'abord présenté au Salon des Artistes Français de 1909.
La cérémonie d'inauguration eut lieu le 6 juillet 1910 en présence du Président de la République Armand Fallières. Elle fut l'objet de la "Une" du Petit Parisien du 7 juillet 1910 :
On remarque qu'en ce début du mois de juillet, le temps était très maussade :
Plusieurs discours rendirent hommage à Waldeck-Rousseau. Le dernier fut celui du président du conseil Aristide Briand (président du Conseil pour la première fois de sa carrière politique de juillet 1909 à février 1911). Voici sa conclusion :
Il parle à propos de Pierre Waldeck-Rousseau de "
ce noble et beau modèle qui fut une exception, et aux yeux de certains, une anomalie".
Il est aussi intéressant de noter que l'inauguration fut accompagnée d'incidents qui sont relatés par l'article :
On ne sera pas surpris de voir que l'esprit contestataire que certains pensent relever du monde actuel n'a en fait rien de très nouveau.
En poursuivant, les recherches sur cette statue, j'ai découvert cette photographie qui montre l'inauguration sous un autre angle que celui qui était présenté à la "Une" du Petit Parisien :
Or sur cette photo, un détail m'a surpris : on observe sur le côté une allégorie en bronze ailée :
Cela m'a conduit à rechercher d'autres représentations de monument sur des cartes postales :
Une petite recherche m'a appris que comme beaucoup de statues en bronze, cette allégorie de la gloire a été fondue en 1942 pendant l'Occupation.
De plus, d'autres cartes postales montrent que le monument était situé dans un lieu plus visible :
De plus il n'était pas adossé à un mur ce qui fait qu'il était visible depuis la face arrière :
J'ai retrouvé un ancien plan du jardin des Tuileries qui montre que le monument était initialement situé dans la partie Sud-Est près du bassin de flore. Je l'ai entouré sur le plan ci-dessous et j'ai indiqué par une étoile l'emplacement actuel du monument :
La localisation initiale de ce groupe statuaire avait fait l'objet d'une polémique car l'architecte du Louvre Gaston Redon s'était opposé à son installation à cet endroit. Le gouvernement de l'époque avait insisté pour cet emplacement.
Sur cette vue aérienne de 1955, on comprend mieux l'organisation du jardin des Tuileries de l'époque et la localisation du monument en l'honneur de Waldeck-Rousseau :
On l'aperçoit aussi sur cette autre vue aérienne du jardin des Tuileries prise sous un autre angle en 1950 :
Voici une vue prise actuellement de l'endroit où était située cette statue pendant plusieurs décennies :