mardi 31 mai 2016

MDCCXXVI : La Cathedrale Notre-Dame en 1827... suite

 

Comme je l'ai annoncé encore récemment à une élue du 4e arrondissement, voici le 2e volet consacré à des tableaux que j'ai découverts un peu par hasard dans le Neuer Pavillon du Palais de Charlottenburg. En effet, après le 1er tableau d'Eduart Gaertner qui représentait la Cathédrale Notre-Dame sans sa flèche (article du 4 mai 2016), voici un 2e tableau de ce peintre qui représente le "Pont Saint-Michel" toujours en 1827.

Comme pour le précédent tableau, on peut observer de très nombreux changements. Comme j'aime le faire assez régulièrement, j'ai fait un comparatif entre la peinture et une photographie prise actuellement depuis le même endroit en 2016 :

Parmi, les nombreux changements que l'on peut noter, il faut tout d'abord souligner que le pont Saint-Michel a changé d'aspect. Le pont d'Ancien régime a été remplacé sous le Second Empire par un pont qui compte une arche de moins et sur lequel sont apparus des "N" impériaux :


J'ai consacré en 2009 un article consacré à ce pont (voir article du 31 octobre 2009).

Il est intéressant de remarquer que dans l'arrière-plan, on voit deux ponts qui ont aussi été reconstruits :


La vue du Pont au Double est particulièrement intéressante. En effet, on voit le passage couvert qui reliait l'Hôtel-Dieu de l'île de la Cité à un prolongement sur la rive Gauche. Le passage par cet ouvrage était payant et il fallait s'acquitter un péage dont le montant était d'un double tournoi (voir mon article du 5 février 2011). Ce pont a lui aussi été remplacé en 1882.

Cependant, un des principaux changements concerne l'aspect de l'île de la Cité où de nombreux bâtiments anciens ont été remplacé sous le Second Empire à l'époque d'Haussmann par la préfecture de Police et le parvis de Notre-Dame :

 On peut comparer ce tableau avec celui de Jongkind qui représente le Pont au Double et le parvis de Notre-Dame en 1855 (voir article du 1er mars 2015).

samedi 28 mai 2016

MDCCXXIV : Les façades de Paris Centre : un curieux immeuble de 1925 au 58 rue du Roi-de-Sicile, témoin de l'épopée des Casquettes SOOLS et des frères Solinski

  

Au 58 rue du roi de Sicile, on trouve un curieux immeuble qui m'avait conduit à écrire une 1ère version de cet article. Le portail en effet a un décor assez surprenant :

Au dernier étage, la façade de cet immeuble d'aspect industriel est surmontée par un balcon :

Un lecteur de L'Indépendant m'a adressé un message très complet qui m'a permis d'en savoir énormément plus sur cet immeuble qui a été commandé par l'entreprise des Casquettes  SOOLS qui appartenait aux frères Charles et Maurice Solinski dont il est un témoignage de la réussite dans l’Entre-deux-guerres et un souvenir d'une saga entrepreneuriale et familiale.

Je reproduis ci-dessous -en les modifiant à peine- des extraits du message que mon lecteur m'a envoyé :

"Avec la fin du premier conflit mondial et l’avènement des « années folles », l’industrie de la casquette prend un nouvel élan. Comme dans des nombreux autres pays d’Europe et d’Amérique, la société des loisirs se développent rapidement, créant une demande particulière de la part de la gente masculine aisée qui redoute encore de sortir tête nue. La casquette, autrefois associée aux couches populaires de la société ou à un élément de tenue professionnelle, devient un accessoire de mode raffiné.

Les entreprises de production de casquettes étaient en très grande majorité installées dans le quartier historique du Marais qui accueillait depuis la  seconde moitié du 19ème siècle de nombreux migrants juifs d’Europe, faisant du coeur de ce quartier un quasi ghetto que les habitants avaient eux-même baptisé du nom de « Pletzl » (mot yiddish signifiant petit place). C’est au coeur de ce quartier qu’est donc logiquement installée la fabrique de casquettes des frères Charles et Maurice Solinski, au 17 de la rue Vieille du Temple* pour être précis.

Les deux frères se sont cependant démarqué du lot en créant une marque de chapeaux et de casquettes au nom fortement anglo-saxon et qui suggère les prémisses de la fascination qu’exercera l’Amérique sur les sociétés européennes dont les soldats stationnés à la fin de la première guerre mondiale seront les premiers ambassadeurs. Cette marque de couvre-chef est donc SOOLS. Si on ne trouve nulle explication concrète sur l’origine du nom, on peut s’amuser à imaginer que les frères Maurice et Charles ont contracté leur nom de Solinski en Sol, doublant le O pour faire plus américain et y adjoignant un S pour faire plus commercial. Leur attirance supposée pour l’Amérique les conduira même jusqu’à devenir les distributeurs exclusifs des chapeaux Stetson en France.

Pour le marché de la casquette, ils ont créé au début des années 20 un label ciblant de manière claire une part importante d’un marché renaissant : la casquette Grand-Sport. A grand renfort de publicités dans la presse illustrées, ils investissent le domaine des courses cyclistes et notamment les fameux 6 jours du vélodrome ou le non moins célèbre tour de France, en faisant avec leur casquette du véritable placement de produit. Organisation de challenge, primes aux vainqueurs avec cérémonies de remise de chèques et de la fameuse casquette chez le chapelier de la ville étape, les frères Sools sont rompus à toutes les techniques commerciales. De cette époque nous est parvenue la fameuse série de clichés réalisés par l’agence de presse Meurisse lors du tour de France 1929. Arborant plus ou moins fièrement leur « casquette Sools », les coureurs sont transformés en véritable présentoir commercial.

De succès en succès, mais confrontés aussi à de nombreux mouvements sociaux suites à des « ajustements de salaires » sans doute peu philanthropiques, les deux frères Solinski se sont installés de manière exceptionnelle dans le paysage industriel français. Ils ont tous deux leur légion d’honneur. Joséphine Baker porte leurs casquettes, comme la star du cyclisme Charles Pélissier. Milton ou Al Brown, lorsqu'ils saluent, révèlent leur nom dans la coiffe de leur chapeau.  Ils ont confié à Adolphe Mouron, dit Cassandre, l’un des meilleurs illustrateurs de l’époque (grand prix de l'Exposition internationale des arts décoratifs), la promotion de leur « Grand-Sport ». Il réalisera pour eux en 1925 puis en 1931, deux chefs d’œuvres du graphisme des années 20. Leur activité commerciale s’est à ce point développée qu’ils font construire en 1925 un bâtiment neuf pour accueillir leurs nouveaux ateliers".

C’est Georges Pradelle, architecte en vue dans la capitale, qui réalise ce bâtiment dans le plus pur style art déco. Ce bâtiment [situé] au 58 rue du Roi de Sicile** est une affirmation de la santé de l’entreprise et de l’encrage de la maison Sools dans la modernité de son époque. En plus de ce siège, perçu comme futuriste par les résidants du quartier, la maison Sools se targuent dans ses publicités de détenir pas moins de douze points de vente dans la capitale dans les années 20. L’une de ces boutiques [était située] à l’angle des rues de Turenne et St Antoine.

Le dernier témoignage de l’existence de la maison Sools que nous avons trouvé date du mois d’août 1940. Dans un encadré du journal Le Temps, les frères Maurice et Charles Solinski annoncent à leur clientèle qu’ils n’ont jamais quitté la France et que leur activité commerciale se poursuit. Ils se sont installés depuis le 10 juin 1940, soit quelques jours avant la signature de l’armistice entre le gouvernement français et l’armée allemande, dans une petite ville du sud ouest de la France. Ils précisent encore que leurs 17 boutiques sont encore ouvertes".

*[Note de l'Indépendant du 4e : le 17, rue Veille-du-Temple est situé dans le même pâté de maisons que le 58 rue du Roi de Sicile]

**Pour écrire cet article et vérifier ma source principale (petit réflexe d'historien), j'ai acheté un document qui atteste l'existence de l'entreprise des frères Solinski situé au 58 rue du roi-de-Sicile. Voici en effet une facture qui date de 1931 :

On peut observer dans le coin en bas à gauche l'adresse de l'entreprise qui était bien situé au 58 rue du Roi-de-Sicile :

PS : en republiant cet article en mai 2021, j'ai retrouvé le permis de cet immeuble : il a été déposé le 24 avril 1925 au nom des frères Carlhian (je ne comprends pas pourquoi ce ne sont pas les frères Solinski qui sont mentionnés), l'architecte étant Pradelle (20, quai du Louvre)

On peut trouver sur ce lien un article sur le marketing des casquettes SOOLS en 1925.

[Affiche d 'Adolphe Mouron, dit Cassandre (1901–1968), casquette Grand-Sport  de l'entreprise Sools. Hachard & Cie, Paris. Circa 1925.]


mardi 10 mai 2016

MDCCXIX : Une façade du XVIIe siècle au 7 rue des Ursins... une adresse où Jean Racine aurait habité quand il écrivit Hiphigénie

  

La partie Nord-Est de l'Île de la Cité est un des rares secteurs de cette île qui a échappé aux démolitions haussmaniennes. La rue des Ursins que l'on peut voir depuis la rive droite offre une très belle variété de façades de différentes époques. Certaines demeures ont été remanié dans un goût médiéval.

Cependant au 7 rue des Ursins, un immeuble semble avoir conservé une grande partie des caractéristiques de l'époque où il a été construit. Plusieurs éléments en attestant :

1°) Cette façade ne compte que deux étages principaux et des combles avec un grenier. Elle est beaucoup plus basse que les deux édifices qui la voisinent.

2°) La façade a un aspect très déséquilibré qui laisse penser à des ajouts progressifs depuis le XVIIe siècle. La partie supérieure est particulièrement charmante :


Un reste de poulie semble avoir servi à monter vers un grenier situé au sommet de cette façade.

3°) La porte est d'une très grande sobriété :

4°) Pour renforcer la façade qui est un ancienne, une ancre métallique en "T" a été fixée :

En écrivant cet article, j'ai découvert un article très complet sur ces ancres métalliques ==> Lien.

Je n'ai pas trouvé la date précise de constructions de cet immeuble. Plusieurs sources affirment que le dramaturge Jean Racine aurait vécu au 7 de la rue des Ursins de 1673 à 1676. Il semble en tout cas, qu'il a résidé dans cette partie de la rue durant cette période. C'est l'époque il a créé une de ses plus célèbres tragédies : Iphigénie qui a été créée en 1674.

Une petite citation tirée de cette pièce pour finir cet article :"Les caprices d'un peuple inconstant et les intrigues des envieux suffisent pour nous perdre". (Acte 1, Scène 1). Tous les candidats à la future élections présidentielle de 2017 devraient méditer à ce sujet.