samedi 2 août 2025

MMDCCCXXIV : Les rues de Paris Centre : la rue Saint-Sauveur...sur les traces de l'église Saint-Sauveur et des bains Saint-Sauveur

 

La rue Saint-Sauveur est située dans le 2e arrondissement, entre la rue Montorgueil à l'ouest et la rue Saint-Denis à l'est.

Elle ne mesure que 250m de long et elle est coupée par une seule rue, la rue Dussoubs.

La rue Saint-Sauveur depuis la rue Saint-Denis, vue en direction de l'ouest

La rue Saint-Sauveur depuis son extrémité ouest, vue en direction de l'est

Cette rue porte ce nom en raison d'une église, qui était située à l'angle de la rue Saint-Denis et de la rue Saint-Sauveur (côté pair de la rue). Une première chapelle avait été édifiée au tout début du XIVe siècle, dans les années 1310. Il faut se rappeler, qu'à l'époque, cet espace se trouvait hors de Paris puisqu'il est au nord de l'enceinte de Philippe Auguste, construite au XIIe siècle. Le lieu de culte s'est retrouvé à l'intérieur des limites Paris après la construction de l'enceinte de Charles V, entre 1356 et 1383. Le nom de rue Saint-Sauveur apparaît pour la première fois en 1385. Elle était donc située dans l"espace urbain compris entre les deux enceintes (l'enceinte de Philippe Auguste disparaîtra dans les années 1530, celle de Charles V dans les années 1670) :

L'église Saint-Sauveur se trouvait rue Saint-Denis dans un rectangle qui longeait le côté pair de l'actuel rue Saint-Sauveur. Elle avait été reconstruite au début du XVIe siècle. On peut observer l'aspect qu'elle avait sur différents plans de Paris. Tout d'abord, sur le plan dit de Bâle (des années 1550), on voit qu'elle comportait une tour-clocher à l'angle des rues Saint-Denis et Saint-Sauveur :

On se rend compte que l'église avait -contrairement à ce que j'ai pu lire sur certains sites- un portail côté ouest et que pour y accéder on longeait l'église sur son côté nord :

On observe le même aspect sur le plan Mérian de 1614 :


Il existe aussi des gravures du milieu du XVIIe siècle qui montrent la façade est de l'église, celle qui donnait sur la rue Saint-Denis. Au chevet, la façade rectiligne comprenait une entrée par le fond de l'église :

L'église Saint-Sauver en 1655 par Martin Zeiller
Cette église, avec sa tour-clocher rappelle d'autres églises parisiennes du XVe et XVIe siècle comme par exemple l'église Saint-Nicolas-des-Champs dans le 3e arrondissement :

  Le plan Jaillot de 1713 permet d'avoir un aperçu du plan de l'église Saint-Sauveur :


Le panneau informatif situé au niveau du 6, rue Saint-Sauveur, évoque un ajout qui date justement de 1713 :

Une chapelle de la Vierge, datant de 1713, aurait donc été décorée par Blondel. Hélas le panneau ne précise pas de quel Blondel il s'agit. François Blondel, qui a donné son nom à la rue Blondel, et qui a dessiné la porte Saint-Denis située tout près de là, était mort en 1686. Peut-être en avait-il dessiné les plans ? Quant à Le Moyne, il s'agit certainement François  le Moyne (né en 1686) et qui a obtenu le prix de Rome en 1711.  Et pour "Coypel", il peut s'agit d'Antoine ou Noël Coypel. Quoiqu'il en soit, il semble que les artistes de grand renom de l'époque - qui ont travaillé pour Louis  ont participé à la décoration de cette chapelle, même si je n'ai pas trouvé d'informations complémentaires à son sujet.

On retrouve l'église Saint-Sauveur sur le plan Turgot des années 1730 :

 
 La paroisse de l'église Saint-Sauveur s'étendait entre la rue Montorgueil et la rue Saint-Denis avec comme limite nord l'actuelle rue d'Aboukir et au sud la rue Tiquetonne. On le voit sur un plan dressé en 1786 :


 A cette époque, l'église était cependant en grande partie... détruite. En effet, elle avait été démolie - y compris la tour clocher -  de 1778 à 1785 dans le but de la remplacer par une église dans le style néo-classiquesur des plans datant de 1778/1782 de Bernard Poyet (1742-1824) [Architecte à qui l'on doit la façade de l'Assemblée Nationale côté Seine] :


L'orientation de l'église était inversée puisque le porche d'entrée donnait désormais sur la rue Saint-Denis. L'église devait être dégagée du reste du pâté de maisons. On peut observer la nouvelle disposition  de l'église - certainement pas encore achevée - sur le plan Verniquet de 1790 .Une "place Saint-Sauveur" était apparaît autour de l'édifice :


 Cependant, en raison de la Révolution française, les travaux ne furent jamais achevés et, ce qui avait déjà été construit, fut détruit en 1797.

Ce que devint, par la suite, cet espace n'est pas clair. Sur le plan cadastre Vasserot, qui date du début du XIXe siècle, on voit que mis à part la partie donnant sur la rue Saint-Denis et l'angle avec la rue Saint-Sauveur, on peut observer un vaste espace vide :

Cependant, sur un plan de 1838, le plan Jacoubet, une construction nouvelle apparaît : les "Bains Saint-Sauveur" :

On peut trouver des informations intéressantes sur ces bains. Tout d'abord, une représentation des bains figure parmi les vues des endroits célèbres de Paris gravés par un dénommé Dorgès (ou Dorgez) :

Un ouvrage passionnant permet d'avoir une idée de l'ambiance dans ces bains. Il a été publié en 1822 par Victor Cursin et a pour titre "Les bains de Paris et des quatre parties du monde". Les bains Saint-Sauveur font l'objet des pages 174 à 179 du tome 1. Voici ce qu'écrit Victor Cursin en 1822 :  "La rue Saint-Denis [...] s'enorgueillit aussi de ses bains. Ceux dits Saint-Sauveur s'annoncent par une superbe façade, une entrée majestueuse, un petit jardin animé de son jet d'eau, voire même d'un croquis de cascade, de quelques statues et d'une horloge au milieu du premier étage". L'auteur laisse entendre que le lieu était très fréquenté à la fois pour des questions d'hygiène et de bien être "Les bonnes bourgeoises de la rue Saint-Denis ne se seraient jamais doutées qu' un jour ce petit temple d'Epidaure s’élèverait parmi elles pour le double avantage de leurs attraits et de leur santé". "Tout le beau monde des rues Grand-Hurleur, Thévenot, Quincampoix, Tuanderie accourt en foule [aux bains Saint-Sauveur]." Le texte laisse entendre que le lieu était aussi propice aux plaisirs charnels : "On assure qu'on a composé, dans le quartier, des strophes [...] et que le soir, dans la belle saison, toutes les petites lingères, modistes, fleuristes, grisettes, prêtresses de Momus*, des rues adjacentes aux bains Saint-Sauveur viennent également y chanter en chœur : Virginité où fuyez-vous après m'avoir quitté ?. La foule assure-t-on est considérable. On trouve dans ces bains des cosmétiques précieux pour la peau, [...] dont les effets miraculeux, entre mille autres, sont de reproduire au naturel, tous les prestiges d'une complète innocence [...]. Ne nous étonnons donc plus si nous voyons dans le marché aux fleurs, près de la rue Saint-Denis, tant de couronnes virginales".

J'ai trouvé une affiche faisans la publicité des bains Saint-Sauveur mais qui ne semble pas évoquer la moindre licence des mœurs :

Je n'ai pas réussi à savoir quand ont disparu les bains Saint-Sauveur.

Quand on regarde les façades des 2, 2bis, 4, 4bis et 6 rue Saint-Sauveur, on est face à ce qui correspondait à la partie sud de l'église avant la fin du XVIIIe siècle. 

Au 6 rue Saint-Sauveur, on trouve un club de sport.  Dans la cour, on peut observer les restes d'une façade, peut-être d'un établissement industriel, qui s'est installé là par la suite :

Au 2 bis de la rue Saint-Sauveur, sur la façade, une Vierge à l'Enfant est placée au 1er étage entre deux fenêtres. 


 Peut-être une façon d'évoquer le saint sauveur, c'est-à-dire Jésus :

Quant on contourne l'angle, on arrive au 186, rue Saint-Denis, à ce qui correspondait à la partie arrière de l'église (ou la façade principale dans la réorganisation prévue dans les années 1780 :

En passant, le porche, au fond de la cour, on peut admirer une très belle façade dans le goût néo-classique, Le thème de Neptune (avec des tridents) est quand à lui peut-être une évocation des bains Saint-Sauveur et donc un vestige de cet établissement :

 

La rue Saint-Sauveur possède de très belles constructions anciennes dont je reparlerai dans de futurs articles.


* (Momus : dieu romain de l'ironie et du sarcasme, fils du Sommeil et de la nuit)

mardi 29 juillet 2025

MMDCCCXXIII : Les statues du Louvre (29e volet) : Condorcet par Pierre Loison

  

Voici le 29e épisode de la série relative aux statues qui décorent la cour du Louvre. Il concerne la statue de Condorcet l'on peut voir sur la rotonde de Beauvais  :

La statue de Condorcet est la première en partant de la gauche :

La statue a été nettoyée comme le monte cette photographie qui avait été en 2022 et que l'on peut comparer avec celle qui ouvre cet article :

Marie-Antoine-Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet, plus simplement appelé Nicolas de Condorcet est né à Remiremont, dans les Vosges, le 17 septembre 1743. C'était un mathématicien  - spécialiste du calcul intégral et des probabilités-  et un homme des Lumières, ami des philosophes comme Voltaire. Proche de Turgot, il a été de 1775 à 1790 inspecteur général de la Monnaie. Il a été membre de l'Assemblée législative de 1791 à 1792. En avril 1792, il participe à un projet de mise en place d'une instruction publique pour rendre l'école accessible à toute la population. Il est élu député de la Convention en septembre 1792. Lors du procès de Louis XVI, il vote contre la mise à mort du roi. Considéré comme trop modéré par les Jacobins, il est mis en accusation en octobre 1793. Il réussit à s'enfuir avant son incarcération mais en tentant de fuir, il est arrêté et meurt dans sa cellule à Bourg-la-Reine, le 29 mars 1794.

La statue est une oeuvre de Pierre Loison, né à Mer dans le Loir-et-Cher le 5 juillet 1816 et mort à Cannes le 3 février 1886. On lui doit la statue de saint Augustin sur la tour Saint-Jacques (article du 2 octobre 2021) et celle du sculpteur Jean-Baptiste Pigalle sur la façade de l'Hôtel de Ville (article du 14 octobre 2010).

On peut voir la statue depuis la rotonde de Beauvais :


vendredi 25 juillet 2025

MMDCCCXXII : Les façades de Paris Centre : un immeuble de 1882 avec des mosaïques à l'angle du boulevard et du quai Henri IV

  

A l'angle du boulevard Henri IV et du quai Henri IV, on peut voir un immeuble qui est intéressant pour son décor. Son portail d'entrée est situé au 2, boulevard Henri IV. Le permis de construite de cet immeuble a été déposé le 1er avril 1882 par un propriétaire du nom de Magagna qui habitait 170, rue Saint-Antoine.

Comme cela est indiqué à l'angle, l'immeuble a été dessiné par un architecte du nom de Georges Dalbin :


 Georges Dalbin est né le 23 janvier 1842, dans le quartier de Batignolles, dans l'actuel 17e arrondissement de Paris. Il est mort le 5 juillet 1901. En 1897, il était devenu membre de la société d'archéologie. A cette époque, il habitait 49 rue du Rocher (Paris 8e). Il est mort à l'âge de 72 ans, à cette adresse le 5 juillet 1901 comme le montre l'acte de décès qu'a retrouvé @Stefdesvosges. On y apprend que Georges Dalbin était célibatire.


 L'immeuble est particulièrement intéressant en raison de son décor du 2e et du 5e étage :

Au 2e étage, à l'ange on trouve trois ouvertures dans un décor blanc encadrées de mosaïques :

Voici un détail qui montre la qualité de ce décor :

Entre le 4e et le 5e étage, la mosaïque se déroule sur toute la façade :

Là aussi, quand on regarde de près, le décor est superbe :


Détail intéressant, les plaques des voies qui indiquent l'adresse de l'immeuble utilisent aussi la mosaïque pour désigner l'arrondissement :

Il en est de même du "2" qui est situé au dessus du portail d'entrée :


 Ce décor en mosaïque, avec des motifs végétaux, préfigure de manière assez étonnante le style Art Déco des années 1920/1930, cependant il semble qu'il date bien de l'époque où l'immeuble a été construit, en 1882.

 C'est dans cet immeuble qu'est née Hélène Berr, le 27 mars 1921, comme le prouve son acte de naissance :

Hélène Berr a écrit de 1942 à 1944 un journal (paru en 2007 chez Tallandier) qui est un témoignage passionnant et bouleversant d'une jeune étudiante juive à Paris. Elle est morte en déportation en avril 1945.