dimanche 16 novembre 2025

MMDCCCXLII : Les rues de Paris Centre : la rue du Sentier, une petite rue du 2e arrondissement qui a donné son nom à un quartier beaucoup plus étendu.

  

Voici un nouvel article de la série consacrée aux rues de Paris Centre : la rue du Sentier (Paris Centre). Elle est située dans le 2e arrondissement, entre la Réaumur et le boulevard Poissonnière. Elle mesure 330m de long. 

La partie nord de la rue du sentier en regardant en direction du boulevard Poissonnière

 
L'extrémité sud de la rue du Sentier à l'angle avec la rue Réaumur

La rue est située dans un  espace qui était compris entre l'enceinte de Charles V et l'enceinte bastionnée ajoutée au nord-ouest de Paris au XVIe siècle. Il était complètement isolé comme on peut le voir sur le plan Mérian de 1614 :

 On rapporte que lors de l'hiver 1612/1616, un loup affamé ce serait risqué dans un sentier qui se trouvait à cet endroit.

Le comblement de la partie de l'enceinte de Charles V entre la porte Saint-Denis et la porte Montmartre a profondément changé l'aspect de ce secteur de Paris avec l'ouverture de la rue de Cléry le long du tracé de l'enceinte (voir article du 10 mai 2023). Le plan Gomboust de 1652 montre la rue du Sentier qui partait de la rue de Cléry en direction du Nord et s'achevait dans les fossés de l'enceinte du XVIe siècle qui, elle n'avait pas été comblée :

La rue menait à un terrain vague. Elle avait d'ailleurs peut-être initialement comme nom de rue du chantier, ou bien du sentier.

Un nouvelle transformation de Paris changea radicalement l'aspect de la rue : le comblement des fossés extérieurs et la création des Grands boulevards dans les années 1670. La rue devient alors la rue que l'on connaît aujourd'hui et qui se termine à l'actuel boulevard Poissonnière. Cependant, la partie sud de la rue prit à cette époque le nom de rue du Gros Chenet comme on peut le voir sur le plan Jaillot de 1713 :


 Les flèches jaunes montrent que le long de la partie Est de la rue (en haut sur le plan), on trouvait des espaces cultivés.

Le plan Turgot qui date de 20 ans plus tard, vers 1732, montre que le bâti s'était considérablement densifié dans la première moitié du XXe siècle :

La distinction entre la rue du Gros Chenet au sud et celle du Sentier au Nord s'est perpététuée jusqu'au milieu du XIXe siècle. Les plaques gravées en atteste à plusieurs endroits de la rue :

Le plan Jacoubet de Jacoubet montre l'aspect des deux rues en 1838 :

Une décision ministérielle du 18 août 1849 a réuni les deux rues qui ont porté désormais le nom de rue du Sentier (comme initialement sur le plan Gomboust de 1652).

Il est intéressant d'observer que la rue forme une légère courbe qui suit peut-être le sentier primitif sur lequel la voie a été travée au XVIIe siècle. On s'en rend compte en plaçant à la hauteur du milieu de la rue, au croisement avec la rue du Saint-Joseph. On se rend compte qu'on ne voit pas l'extrémité nord de la rue :

Et même l'extrémité nord de la rue présente une certaine sinuosité :


Lors du percement de la rue Réaumur à la fin du XXe siècle, une partie de la pointe sud de la rue a été démolie. C'est à cet endroit que l'architecte Albert Walwein a construit l'immeuble d'angle pour Léon Storch (voir article du 30 juillet 2018) complété par celui du 
 

La rue a donné son nom au "quartier du Sentier "dont les limites ont longtemps été assez floues mais qui depuis le milieu du XIXe siècle s'est spécialisé dans l'industrie textile dans tout le secteur compris entre la rue Montmartre et la rue Saint-Denis, voire le boulevard Sébastopol, avec au Nord les Grands boulevards et au sud la rue Réaumur, avec des extensions plus au sud quasiment jusqu'aux Halles. Il correspondait, administrativement, jusqu'en 2020, à la plus grande partie du quartier Bonne nouvelle Il a commencé à avoir une reconnaissance dans la toponymie officielle avec le redécoupage des conseils de quartier en 2020, avec l'actuel quartier "Sentier-Arts-et-Métiers" dont il correspond à la partie Ouest.

On parle aussi de "Silicon Sentier" pour désigner les entreprises de la French Tech (voir le lien suivant).

mardi 11 novembre 2025

MMDCCCXLVI : Une plaque qui commémore la fondation de l'église Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle en 1628

 

L'église Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle est située dans le quartier Bonne Nouvelle (elle lui a donné son nom) dans le 2e arrondissement. Sa façade principale donne sur la rue de la Lune mais telle n'a pas toujours été le cas.

On trouve dans l'église une plaque qui commémore la pose de la première pierre par la reine Anne d'Autriche en 1628 :

L'église avait été édifiée sur un espace coincé entre l'enceinte de Charles V et l'enceinte ajoutée au XVIe siècle dans le nord-ouest de Paris. Un espace qui semblait encore complètement déserté sur le plan Mérian de 1614 : 


 On voit l'église sur le plan Gomboust de 1652 :

On y voit que l'église était orienté vers l'Est et qu'elle longeait la rue située au sud, l'actuelle rue Beauregard :

On peut aussi voir l'église sur le plan Turgot des années 1730, donc cent ans après son édification :


On y voit qu'une chapelle s'était ajoutée au nord de la nef ce qui donnait un aspect très déséquilibré au plan de l'église :


 Sur le plan des paroisses de Paris de 1786 que la paroisse de l'église Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle formait un triangle entre la rue Poissonnière à l'Ouest et la porte Saint-Denis au Nord-Est :

Le plan Verniquet de 1790 montre que l'église avait toujours cette forme curieuse :

Il en est de même sur le plan cadastral Vasserot commencé en 1816  :

On observe que l'église avait son entrée à l'Ouest, avec un autel à l'Est mais aussi un autel en direction du Nord :

Le bâtiment était dans un triste état. A la restauration, il a été décidé de le reconstruire dans un style néo-classique de l'architecte Hippolyte Godde (1781-1869). La nouvelle église a été consacrée le 25 mars 1830, pendant les derniers mois du règne de Charles X. Le plan "pittoresque de Paris" de 1836 montre la nouvelle orientation de l'église avec son entrée au Nord sur la rue de la Lune :

Une gravure qui accompagne ce plan montre l'effet qui était attendu - avec le possible dégagement de la façade pour qu'elle soit visible depuis les Grands boulevards :

Un tableau attribué à Pierre Mignard représente Anne d'Autriche et sa belle-soeur Henriette, épouse de l'infortuné roi d'Angleterre Charles Ier (décapité en 1649) qui date certainement de la période pendant laquelle la reine d'Angleterre s'était réfugié dans son pays natal :

Un tableau qui permet donc de rappeler la reine Anne d'Autriche, qui avait posé la première pierre de l'église intiale mais dont il ne reste presque rien à part le clocher qui est du XVIIe siècle.
 





 


 

jeudi 6 novembre 2025

MMDCCCXLV : Les façades de Paris Centre : un immeuble de la fin du XIXe siècle à l'angle du 101, rue Réaumur et du 11, rue de Cléry. Sur les traces de Léon Storck/Storch

 

Voici un nouvel article consacré à un des superbes immeubles qui jalonnent la rue Réaumur. Celui-ci est situé à l'angle du 101, à l'angle avec le 11, rue de Cléry. L'immeuble est dans un angle très étroit qui en fait un des "flat iron" du coeur de Paris.

Cet immeuble est orné d'un riche décor dans un goût néo-Renaissance comme en atteste par exemple les atlantes situées tout à droite de la façade sur la rue Réaumur :

Puis, en allant vers la gauche, on arrive sur le portail principal d'accès à l'immeuble, au n°101 :

C'est sur le côté latéral droit que l'immeuble est signé et daté :

L'immeuble date donc de 1898 et il est dû à l'architecte Albert Walwein (né à Rully en Saône-et-Loire, le 11 juin 1851, et mort dans le 16e arrondissement de Paris, le 21 février 1916). Il s'agissait d'un architecte important de l'époque : il était architecte en chef du gouvernement et, en 1885, architecte du ministère de la Marine et des colonies. (On lui doit aussi la façade du 116, rue Réaumur située juste en face (voir article du 30 juillet 2018) comme j'en reparlerai par la suite).

La partie la plus impressionnante de cette immeuble est située à l'angle de la rue Réaumur et de la rue d'Aboukir :

On peut admirer, au 2e étage, deux autres carayatides (mais celles-ci sont privées de bras) :


 La partie supérieure de l'angle, de forme arrondi, est surmontée par une coupole d'aspect néo-byzantin très en vogue à l'époque :
 


On peut observer aussi un nombre impressionnant de lion, tant sur la façade située rue Réaumur :
 

et sur la façade de la rue de Cléry :


 Ces lions sont situés sur les consoles qui soutiennent le balcon du 2e étage 

On trouve aussi des lions au dessus des fenêtres de part et d'autre de l'angle au 2e étage :


Ces lions, m'ont permis de retrouver la trace de l'industriel qui a commandé cet immeuble. Un peu grâce au hasard.

En effet, on retrouve aussi sur celui du 116, rue Réaumur, dessiné lui aussi par Albert Walwein,... des lions. Je me suis dit que les deux immeubles qui se font face, de part et d'autre des côtés pairs et impairs de la rue Réaumur, étaient peut-être dus à une commande pour un personnage prénommé Léon. 


Or, l'immeuble du 116, (auquel j'avais consacré un article paru le 30 juillet 2018) a été édifié pour un certain M. Storch. Cela m'a permis de retrouver un personnage appelé Léon Lazare Storch que j'ai retrouvé sur la page d'un site consacré au cimetière du père Lachaise, On y apprend que ce personnage est né à Paris le 28 mai 1861 et qu'il est mort le 29 septembre 1923 à Paris 20e. Il était le président honoraire de la chambre syndicale de confection pour dames. Il a obtenu la légion d'honneur le 9 mars 1908. Il a été promu officier en 1910.

J'ai poursuive l'enquête en cherchant des traces de ce Léon Storch. 

Son nom d'usage était Storch, mais son nom à l'état civil était Storck;. J'ai retrouvé son acte de décès dans les registres de la mairie du 20e arrodissement, qui en fait la précision :

J'ai aussi retrouvé un courrier, daté de 1910,  écrit par lui quand il a été fait officier de la légion d'honneur. Il mentionne comme le 116, rue Réaumur. C'est bien de lui, Léon Storch, dont il s'agit :


Au moment de son mariage, Léon Storch/Storck habitait au 26, rue d'Aboukir (Paris 2e). Il a épousé à la mairie du 3e arrondissement Gabrielle Weil (merci à @stefdesvosges de m'avoir aidé à retrouvé l'acte) :

Léon Storck était né dans le 11e arrondissement, rue d'Angoulême (actuelle rue Jean-Pierre Timbaud) le 29 mai (déclaré le 30) mai 1861 :

 En 1902, Léon Storch avait été chargé de rédiger le rapport du groupe 85 de l'Exposition universelle de Paris de 1900, qui avait pour sujet l'Industrie de la confection pour hommes, femmes et enfants.

Tout indique que Léon Storck était d'une modeste origine juive de la confection et qu'il est devenu un personnage influent de l'industrie textile dans le quartier du sentier comme en atteste les superbes immeubles des 101 et 116, rue Réaumur qui forment un seul et même ensemble (ce que j'ai cherché à démontrer dans cet article).

Liste des façades de la rue Réaumur auxquelles j'ai consacré un article :

- le n°51, angle avec le boulevard Sébastopol (article du 10 août 2019
- le n° 61/63 (article du 27 juin 2021)
- les n°82 à 96 (article du 31 juillet 2020)
- le n°121 (article du 26 mai 2020).

 

dimanche 2 novembre 2025

MMDCCCXLIV : 26, rue des Francs-Bourgeois (2e épisode) : Un superbe vestige d'une résidence de la fin du XVIe siècle, l'hôtel de Sandreville ou... de Saudreville ?

 

J'ai consacré un 1er article à propos du 26, rue des Francs-Bourgeois (Paris 3e) pour évoquer Madame Cornuel. Cependant, je voudrais revenir dans celui-ci sur un autre problème qui attiré mon attention à propos de cet hôtel particulier.

Sur le panneau informatif situé devant le 26, on peut lire :"  Hôtel de Sandreville. Sous cette appellation, il convient de distinguer deux hôtels d'époques fort différentes. Le premier a été bâti, vers 1586, en fond de cour pour Claude Mortier, sieur de Soisy, notaire et secrétaire du roi. La façade sur jardin, restaurée, est la plus belle, et donne un bon exemple de l'architecture privée à Paris à la fin du XVIe siècle. Le nom de Sandreville vient d'un éphémère propriétaire au temps de Louis XIII". Je me  suis demandé qui était ce mystérieux propriétaire éphémère appelé Sandreville qui avait donné son nom à cet hôtel particulier.

Cela m'a conduit à me replonger dans l'histoire de cette demeure. Elle a fait l'objet d'articles d'un des meilleurs historiens de Paris, Jean-Pierre Babelon (1931-2024). Voici ce qu'il écrivit dans un article intitulé "Histoire de l'architecture au XVIIe siècle", page 684 du volume de 1975, de l'Annuaire de l'école pratique des hautes études :

On apprend ainsi que le 26, rue des Francs Bourgeois ne représente qu'une petite partie de l'Hôtel construit initialement pour Claude Mortier.

Cela explique la rupture qui semble assez brutale de la façade à l'intérieur de la cour :

et le mur aveugle en trompe l’œil que l'on voit dans la partie Est de la cour :

Un document très éclairant est conservé par les Archives de la Ville de Paris. Le partage opéré en 1604 entre deux sœurs du Mortier, la partie Ouest, l'actuel 26, revenant à Marie du Mortier :

  

La façade que l'on peut voir à gauche en rentrant dans la cour date de cette époque :

C'est celle que j'ai entourée en jaune sur le plan ci-dessous :

Jean-Pierre Babelon dans un autre article, "Trois hôtels du Marais, à Paris datant du règne de Henri III" ,dans le Bulletin monumental de l'année 1977, a décrit de manière détaillée à quoi devait ressembler la superbe demeure de Claude Mortier avant le partage de 1604 :

Voici les passages que j'ai soulignés dans le texte "c'est par l'imagination qu'il faut restituer le vaste volume de cette cour, dont le bâtiment sur rue et les ailes étaient décorés d'arcades à la mouluration subtile : l'archivolte à bandeau et réglet chargée de voussoires passants en bossages, qui donnent lieu d'une arcade à l'autre, à de curieuses imbrications en défoncé. [...] Cette grande demeure, d'une taille qui excédait celle de l'hôtel Carnavalet, n'avait pas échappé à l'admiration du public."

Les dimensions de l'hôtel construit par Claude Mortier étaient ainsi impressionnantes. Pour s'en rendre compte, j'ai entouré en jaune l'espace que cela représentait sur un plan Turgot des années 1730, donc bien plus tard, et après le démembrement de 1604 avec l'espace compris entre la rue des Francs-Bourgeois (au sud), la rue Barbette (au nord) et la rue des Trois-Pavillons, actuelle rue Elzévir (à l'Est) :


 Sur un plan du cadastre Vasserot du début du XIXe sicle, on peut avoir un aperçu de l'espace que représentait initialement cet hôtel. J'en entouré en rouge l'actuel 26, rue des Francs-Bourgeois et en vert ce qui devait correspondre initialement à la parcelle de Claude Mortier à la fin du XVIe siècle :


 L'important, pour en revenir au nom de cet hôtel particulier, est qu'initialement, il a été construit par Claude Mortier. Celui-ci est partout désigné comme notaire et secrétaire du roi (donc Henri III en 1585) et sieur de Soisy. Cependant, on trouve d'autres mentions de Claude Mortier, aussi, en tant que seigneur du Fresnes. On peut lire une page très intéressante sur le site de l'Association de l'Histoire cachée de Villeconin et de sa Vallée. On y apprend que Claude Mortier, seigneur du Fresnes a acheté 13 arpent de terres en 1584. 

Cela m'a conduit à me pencher sur une carte Cassini du XVIIIe siècle pour localiser Villeconin et le lieu dit "le Fresnes" ou le Fresne, ce qui conduit dans un espace compris entre Dourdan et Etampes à une cinquantaine de kilomètres au sud de Paris 

 
Dans cet espace on peut voir le toponyme Le Fresne, où aujourd'hui on peut voir les ruines d'un château, mais un peu plus au nord, on trouve un autre nom intéressant :
Il s'agit de Saudreville (et non pas Sandreville). Or, le site de l'association déjà mentionnée plus haut donne des informations passionnantes pour éclairer le nom de l'hôtel du 26, rue des Francs Bourgeois :


On y comprend que Marie Mortier, la fille de Claude Mortier, était avec son frère aîné Josias, héritière de la seigneurie du Fresnes. Elle était épouse de Pierre Le Berche., conseiller du roi et grand maître des eaux et forêts. Mais d'après ces informations, elle était déjà veuve en 1610 (donc peu de temps après le partage de l'hôtel de la rue des Francs Bourgeois) mais elle avait eu trois fils, Jacques, Alphonse et Claude Le Berche. Mais, en 1633, Jacques Le Berche est mentionné comme seigneur du Fresnes et de Saudreville. Il s'agit ainsi de la seigneurie située au nord du Fresnes. 


 

Tout laisse donc à penser qu'avant la vente en 1638 à Guillaume Cornuel (voir mon article précédent), la famille qui possédait l'Hôtel de la rue des Francs Bourgeois n'a pas changé depuis Claude Mortier. Il s'agit de ces petits-fils qui en plus de la seigneurie du Fresnes, ont aussi été seigneurs de Saudrevrille. Plusieurs sources mentionnent Alphonse, qui était donc un des trois frères. L'Hôtel de Sandrevrille devrait s'appeler l'hôtel de Saudreville. De plus contrairement à ce qu'affirme le panneau d'information ce n'est pas un "éphémère propriétaire" qui a donné son nom à l'Hôtel :


On peut noter qu'on trouve aujourd'hui, dans la commune de Villeconin, au lieu dit de Saudreville un superbe château (une propriété privée) qui date du milieu du XVIIe siècle. En voici une carte postale ancienne :
Le 26, rue des Francs-Bourgeois est appelé "Hôtel de Sandreville", mais on peut être certain qu'en fait il devrait s'appeler hôtel de Saudrevrille. Sauf qi quelqu'un réussit à me prouver le contraire...