jeudi 23 novembre 2023

MMDCXLV: Les passages de Paris Centre : le passage des Ménétriers, sur la piste d'une rue, d'une corporation, d'une chapelle et d'un bâtiment de l'Exposition universelle de 1900...

 

Voici un nouvel épisode de la série consacrée aux passages de Paris Centre : il concerne le passage des Ménétriers que l'on trouve dans le quartier de l'Horloge à l'Ouest de la rue Beaubourg, au Nord de la rue Rambuteau (donc côté 3e arrondissement).

L'entrée du passage par la rue Beaubourg

Ce passage porte ce nom depuis que dans le sillage de la création du Centre Pompidou, cette partie de Paris a été reconstruite à la fin des années 1970. Le nom a été choisi en 1979 et le passage a été ouvert à la circulation publique par un arrêté du 27 mars 1981. Il ne fait que 55m de long.

Le passage des Ménétriers vue en direction de l'Ouest depuis la rue Beaubourg
Le passage des Ménétriers en direction de l'Est

 Le nom de ce passage peut laisser perplexe car les "ménétriers" sont une profession qui n'évoque pas forcément grand chose à tout le monde. Cette enquête m'a conduit sur les traces d'une corporation et une église qui ont joué un rôle important dans ce quartier.

En effet, ce choix de nom pour ce passage en 1979 a permis de rappeler le nom d'un rue qui avait disparu depuis près de 130 ans : la rue des Ménétriers. Celle-ci était située entre la rue Beaubourg et la rue Saint-Martin.  On la voit sur ce plan cadastral Vasserot du début du XIXe siècle :

On voit qu'à l'Est on trouvait deux voies qui existent toujours l'impasse Bertaud et la rue Geoffroy l'Angevin.

Je l'ai représenté sur ce plan Picquet de 1810. On se rend compte qu'elle était située dans l'axe compris entre l'église Saint-Eustache et l'Hôtel de Rohan-Soubise, les Archives nationales, où a été percée en 1840 la rue Rambuteau :

La rue des Ménétriers portait ce nom car depuis le Moyen Âge, elle était le quartier des Jongleurs et chanteurs de rue, les ménéstrels qui à Paris portaient le nom de Ménétriers.

Cet article m'a permis de découvrir que tout près de là, on trouvait un peu plus au Nord, dans la rue Saint-Martin une chapelle appelée Saint-Julien-des-Ménétriers. On la voit par exemple sur le plan Turgot des années 1730 :

Voici un agrandissement pour mieux voir cette chapelle :

On peut aussi voir cette chapelle sur le plan de Bâle du milieu du XVIe siècle. On se rend compte en portant l'attention sur la rue Saint-Martin que la chapelle était située à peu près à mi chemin entre l'église Saint-Nicolas-des Champs au Nord et l'église Saint-Merri (appelée sur le plan saint Marri) au sud :

On lit sur ce plan qu'on y trouvait aussi un hôpital :

Cet hôpital et sa chapelle dataient du XIVe siècle. En effet, cela est lié à la création de la Corporation des Ménétriers qui a été étudiée par Pierre Pocard dans un article publiée dans la revue de l'école des Chartes. On y apprend que la corporation avait été fondée en 1321. Or, en septembre 1328, deux des membres de la corporation apercevant un paralytique tout près de la rue des Jongleurs (ou Ménétriers) décidèrent de fonder un hôpital devant le lieu où ils avaient vu ce malheureux. Cet hospice était doté d'une chapelle. C'est l'église que l'on voit sur le plan de Bâle et le plan Turgot. La première messe y fut célébrée le 24 septembre 1335.

Cette fondation dévôte devint le siège de la corporation des Ménétriers (une profession qui initialement n'était pas en odeur de sainteté dans l'Eglise). Avec le soutien de la monarchie elle étendit son influence sur toute la France et était chargée de faire régner la censure qui limitait la capacité à se moquer du pouvoir royal et de l'Eglise. Cela lui permit de s'enrichir car la Corporation touchait une partie des amendes que devaient verser les chanteurs de rue qui ne respectaient pas les règles édictées.

La corporation resta très puissante jusqu'au au XVIIe siècle. Son monopole fut remis en cause par la création de l'Académie de Musique par Jean-Baptiste Lully avec le soutien de  Louis XIV. Elle finit par complètement disparaître un siècle plus tard en 1773 par un arrêté du conseil royal qui supprimait la Corporation en faisant aussi disparaître la fonction de "Roy des Ménétriers", une curieuse appellation.

Quant à l'église de l'Hôpital, elle avait été prise en charge depuis le milieu du XVIIe siècle par les Pères de l'Eglise de la Doctrine Chrétienne ce qui conduisit à de nombreux contentieux avec la Corporation. L'église semble avoir délaissée dans les années 1770. Voici une gravure qui montre sa façade, rue Saint-Martin en 1779 :

 Les membres du clergé de l'église voisine Saint-Merri, privés en 1781 du droit d'ensevelir leurs paroissiens dans le Cimetière des Innocents, prétendirent en faire un lieu de sépultures. Ils défoncèrent les portes ce qui conduisit à un nouveau conflit entre les différentes congrégations qui prétendaient avoir le contrôle de l'église.

Pour finir en décembre 1789, l'église fut offerte la Nation par des commissaires qui se présentaient comme les continuateurs de la Corporation des Ménétriers qu s'adressèrent ainsi à l'Assemblée Constituante :

Ce discours est extrait d'un ouvrage paru en 1878 écrit par Antoine Vidal à propos de La chapelle Saint-Julien-des-Ménétriers et les ménestrels à Paris :


 On y trouve une très belle gravure qui montre un autre aperçu de l'aspect de la façade :

Ce qui est assez curieux c'est que pour l'Exposition universelle de 1900, en bord de Seine, tout près de la Tour Eiffel dans la partie consacrée au Vieux Paris, on trouvait une église modèle dont la façade était la copie de Saint-Julien-des-Ménétriers :

Cette reconstitution de "l'église Saint-Julien-des-Ménétriers" eut un grand succès. Des cartes postales furent imprimées pour en garder le souvenir :

Et même des maquettes en carton permettant de reconstituer cette église :

Voici le résultat que cela donnait :

Une maquette donc d'un bâtiment de l'exposition universelle de 1900, au pied de la Tour Eiffel, représentant une chapelle disparue en 1790 et qui avait été construite dans l'actuel 3e arrondissement dans la première moitié du XIVe siècle par la Corporation des Ménétriers, la profession chargée de chanter aux différents coins de rue de Paris,

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