Voici un nouvel article de L'Indépendant du Coeur de Paris consacré à
une rue de Paris Centre : il concerne la rue Mandar située dans le 2e arrondissement entre la rue Montmartre (au niveau du 72/74) à l'Ouest et la rue Montorgueil (au niveau du 59/61 à l'Est). Elle fait 162m de long et 7,7m de large.
Cette rue m'a intéressé en raison de son aspect très uniforme : l'ensemble des façades sont toutes alignées (ce qui n'est pas si fréquent dans les petites rues de ce quartier) :
Ci-dessus, la rue vue depuis la rue Montorgueil en direction de l'Est. Ci-dessous, la vue depuis la rue Montmartre en direction de l'Ouest :
Un panneau d'information permet d'en savoir plus :
Cela permet d'apprendre que la rue a été dessinée par un architecte appelé... Mandar. D'après le panneau, elle aurait été construite entre 1792 et 1795.
Cependant, j'ai trouvé un article passionnant écrit par Antoine Picon dans "La revue de l'art" en 1995. On peut y lire qu'en fait la construction a été achevée quelques années plus tôt : en 1790 (et donc non pas en 1795).
Charles-François Mandar est d'après cet article un personnage très ntéressant (qui aurait peut-être mérité que le panneau informatif soit un peu plus plus précis à son sujet). Né en 1757 près de Pontoise, il était frère de Michel-Philippe Mandar, membre du Club des Jacobins et député de Paris à la Convention. Charles-François Mandar est l'architecte qui a dessiné le décor installé pour la fête de la Fédération le 14 juillet 1790 sur le Champ de Mars. Voici un dessin de sa main qui a été conservé.
Diplômé de l'Ecole militaire, Charles-François Mandar a surtout été un architecte militaire. Il est mort à 86 ans en 1844.
Charles-François Mandar (1757-1844)
On notera d'ailleurs que la plaque qui explique le nom de la rue comporte une erreur puisqu'elle indique comme année de décès 1845 alors que la date précise est le 8 septembre 1844.
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Avant le percement de la rue Mandar, on trouvait dans ce pâté de maisons une série de vastes demeures avec des jardins comme on peut le voir sur le plan Turgot des années 1730 :
J'ai représenté -de manière approximative- l'endroit où la rue a été percée près de 60 ans après la réalisation de ce plan :
On peut voir dans le plan cadastral du début du du XIXe siècle que les parcelles des immeubles construits le long de la rue Mandar ont très peu de profondeur côté impair (au sud) :
Voici en rouge ci-dessous ce même plan avec les limites de parcelles :
Côté pair (au Nord), il en est de même, à part une excroissance qui a permis de gagner en profondeur à un seul niveau de la rue :
Le panneau informatif évoque l'unité de style des façades :
On peut en effet observer une unité dans les gardes-corps mais avec tout de même des variations :
Les consoles sont elles aussi légèrement différentes d'un immeuble à l'autre :
Certains décors de façade sont plus richement travaillés :
J'aime penser que les escaliers que l'on trouve dans ces immeubles sont utilisés depuis plus de deux siècles :
On peut observer sur les façades, de nombreuses traces du passé :
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D'après le panneau informatif, la rue était initialement fermée par des grilles et elle possédait "peut-être' des trottoirs couverts. Elle a été ouverte au public le 23 thermidor an IX, ce qui correspond au 11 août 1801 (sous le Consulat donc).
Pour être précis, la décision a été prise par la volonté du Ministre de l'Intérieur en personne. Il écrivit le 23 thermidor en ces termes au préfet de Paris : « D’après les observations, citoyen préfet,
qui m’ont été faites sur l’utilité pour le quartier des
halles, de la communication connue sous le nom de
cour Mandar, j’ai décidé qu’elle serait mise au nombre
des rues de Paris, et comme telle, pavée, éclairée et
nettoyée aux frais de la commune. Je vous invite, citoyen
préfet, à prendre, en ce qui vous concerne, les mesures
nécessaires pour l’exécution de cette décision et notamment
pour que les grilles placées aux deux extrémités
de la communication dont il s’agit, qui prendra le
nom de rue Mandar, soient promptement enlevées et
pour que le pavé en soit entretenu avec soin. : Signé
Chaptal. ».
Le personnage qui a signé cet ordre, Jean-Antoine Chaptal a été ministre de l'Intérieur du 7 novembre 1800 au 7 août 1804. C'était un savant et un chimiste. Il a exercé sa fonction de ministre de l'Intérieur dans les mois qui ont suivi la création des préfets.
Jean-Antoine Chaptal (1756-1832)
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Le panneau informatif évoque pour commencer celui qui a financé le percement et la construction de cette rue, un dénommé Lecouteux :
Il s'agit de Jean-Barthélémy Le Couteulx, comte de Canteleu et de Fresnelle, né à Rouen le 4 mars 1746 et mort à Paris le 18 septembre 1818. C'était un banquier. Il a été échevin de Rouen et il a été élu représentant du Tiers-Etat en avril 1789 pour cette ville. Il a siégé comme député à l'Assemblée constituante jusqu'en septembre 1791. Son nom apparaît ans la liste des prestataires du serment du Jeu de Paume le 20 juin 1789.
Pendant la Terreur, il a été incarcéré de Décembre 1793 à août 1794. Il a pendant le Directoire été élu -en Octobre 1795- député de Paris au Conseil des Anciens. Par la suite, il s'est rallié au Consulat après le coup d'Etat du 18 Brumaire en 1799. Il a été nommé membre du Sénat conservateur et a été régent de la Banque de France créée par le 1er consul.
Jean-Barthélemy Le Couteulx de Canteleu (1749-1818)
La rue Mandar est donc une petite rue de Paris Centre mais qui permet ainsi d'évoquer trois personnages qui ont traversé la Révolution, l'Emire et la Restauration et sans lesquels elle n'aurait pas existé telle qu'on la connait: Charles-François Mandar, Jean-Antoine Chaptal et Jean-Barthélémy le Couteulx de Canteleu.
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Le Dictionnaire des rues de Paris publié par Félix et Louis Lazare en 1844 contient de nombreuses informations qui m'ont été utiles pour écrire cet article. Il est paru l'année même de la mort de Charles-François Mandar (c'est pourquoi la dernière phrase utilise le présent de l'indicatif) :
Il est insolite de noter que Mandar a habité pendant des années au 9 de la rue qui portait son propre nom.