Cette frise est divisée en 10 cartouches séparés par des triglyphes. On en compte quatre sur la face qui donne sur la rue de la Cossonnerie, deux sur sur l'angle :
et quatre dans la façade qui donne sur la rue Saint-Denis :
L'ensemble représente une procession religieuse antique avec des scènes d'offrandes :
en partant dans la partie la plus à gauche, -donc rue de la Cossonnerie- la 1ère scène représente deux chevaux chargés et avec une tenue d’apparat conduit par un guide. Ils avancent vers la droite :
puis la 2e scène représente dans un cartouche plus longue une composition plus complexe avec au centre le dieu Mercure que l'on reconnait à son caducée qui reçoit une offrade de la part d'une femme qui tient une corne d'abondance chargée de fruits. A gauche, un personnage tient une coupe de fruits, puis un personnage joue du cor puis on voit un ange qui semble tenir une couronne. A Droite, on voit d'abord une danseuse, puis une joueur de flute et une servante qui emporte un coffre.
La 3e scène s'inscrit aussi dans le un cartouche long avec une scène non moins complexe : on voit au centre une femme sur un trône entourée par des lions puis de façon symétrique à droite et à gauche deux serviteurs qui portent un bâton et tendent une coupe puis deux centaures musiciens, l'un à gauche jouant de la lyre et l'autre à droite de la flute. A l'extrémité à gauche une homme dénudé tient un bâton et tout à droite on retrouve le joueur de cor qui apparaissait dans le cartouche précédent :
On arrive ensuite à un cartouche plus court juste avant l'angle, le 4e. On retrouve une scène avec un cheval qui porte des offrandes qui semblent être contenues dans une boîte en forme de temple antique. Ce cheval est suivi par un guide qui tient un bâton (comme dans le 1er cartouche) et devant lui on voit une femme qui tient une boite (comme dans la partie tout à droite du 2e cartouche). Ils avancent vers la droite.
On arrive ensuite à la partie qui est dans l'angle avec deux cartouches.
Le 5e représente quatre personnages. Deux femmes portent un plateau sur lequel on voit une cruche et une grande gerbe de blé. A l'arrière, une femme repositionne une partie de la gerbe. A l'avant, un personnage tient un bâton. Les quatre personnages avancent vers la droite.
On arrive ensuite dans la partie qui donne sur la rue Saint-Denis. La 7e partie est située sur une partie qui forme un angle droit. Deux femmes qui ressemblent à des prêtresses (celle de gauche tend une couronne, celle de droite une balance) sont situées autour d'un autel au dessus duquel on voit le caducée et le casque ailé du dieu Mercure. Tout à gauche, dans la partie perpendiculaire, une femme tient des offrandes
Avec le 8e cartouche, on retrouve une format plus long et un cortège avec en tout cinq chevaux. Tout à droite on voit d'abord un personnage avec deux chevaux costumés portant des offrandes (identique au cartouche 1), puis à nouveau un personnage (mais avec une posture différente car il regarde devant lui) qui est derrière deux chevaux. Tout à droite on retrouve un cheval qui porte une boîte en forme de temple comme dan le 4e cartouche :
Le 9e cartouche montre par contre des animaux qui n'avaient pas encore été mis en scène. En effet sur la gauche on voit un char tiré par deux bovins. Le char contient un tonneau. A l'avant du char on voit une femme qui tient un enfant dans ses bras. Tout à gauche, à l'arrière du char, une femme tient ce qui ressemble à une amphore. A droite on voit un personnage casqué qui est précédé par un cheval qui sur le côté semble porter une corbeille vide ou un tambourin :
On arrive à la 10e scène, la dernière, tout à droite. Sur la gauche, un personnage tient une vase avec un récipient et son couvercle. Au centre on voit un bœuf qui est paré et qui semble voué au sacrifice avec en arrière plan un personnage qui tient une hache. Enfin tout à droite une femme qui ressemble à une prêtresse.
On compte donc en tout 9 chevaux dans cette frise (si on ne tient pas compte des deux centaures du 3e cartouche) pour répondre à la question que j'avais posée dans le jeu de piste qui est à l'origine de cet article...
Cela m'a bien sûr conduit à vouloir en savoir plus en ce qui concerne cet étrange décor antique. Il est facile de trouver un indice puisque sur chaque face on peut voir la mention "Maison Batave" rue la Cossonnerie:
tout comme rue Saint-Denis :
Dans les deux cas, les dates 1795 / 1858 apparaissent avec l'indication de ce nom.
Cette "maison batave" a déjà conduit à la publication d'excellents articles sur d'autres blogs relatifs à Paris et son Patrimoine : Paris Bise-Art, Paris Promeneurs et Secrets et Lumières de Paris et d'Ailleurs.
J'ai repris l'enquête de mon côté car j'ai cherché à savoir si cette frise a toujours été ainsi disposée et je pense être parvenu à obtenir des informations complémentaires. J'ai tout d'abord voulu retrouver des informations sur l'histoire de cet endroit.
Ma perplexité a commencé en observant le plan cadastral de Paris au début du XIXe siècle. Je pensais en effet retrouver l'ange de la rue de la Cossonnerie et de la rue Saint-Denis qui semble avoir été préservé dans la disposition actuelle. Or je me suis rendu compte qu'à cette époque, la "Cour Batave" faisait partie du pâté de maisons et qu'à l'époque la rue de la cossonnerie ne se prolongeait pas côté pair de la rue Saint-Denis :
J'ai alors regardé un plan Turgot des années 1730 pour me rendre compte que la rue de la Cossonnerie ne se prolongeait pas non plus au XVIIIe siècle du côté Est de la rue Saint-Denis :
On trouvait à cet endroit l'église du Saint-Sépulcre qui dans sa partie Nord était prolongé par un jardin :
En remontant encore dans le temps, le plan de Bâle des années 1550 montre aussi cette église du Saint-Sépulcre :
on se rend compte que la façade était impressionnante :
En voici une représentation au XVIIIe siècle : Sur l'histoire de cette église, on peu lire une notice très intéressante dans l'article sur la Cour Batave du Dictionnaire historique et administratif des rues de Paris de 1844 :On y apprend que la première pierre de l'église avait été posée en 1326 mais qu'elle n'a été "dédiée" (c'est-à-dire consacrée) qu'en 1526 et que l'édifice n'a été achevé qu'en 1655.Par contre cet article est très très bref sur le descriptif et le l'histoire de la cour Batave dont on apprend juste que les constructions ont été achevées en 1795 (ce qui correspond à la date indiquée sur la façade aujourd'hui).
Sur le plan cadastral du début du XIXe siècle j'avais cependant été impressionné par les dimensions de cette cour Batave. On y entrait par le 60 rue Saint-Denis mais il y avait un passage qui menait jusqu'à la rue Quincampoix au niveau de l'actuelle rue de Venise :
Le plan permet de voir la disposition des boutiques autour de cette cour :
Cela m'a conduit à retrouver un document déjà publié sur d'autres blogs : le plan de cette cour dressé en 1801 par un dénommé Ransonnette (avec une orientation inversée puisque sur celle-ci l'Est est en haut) :
On peut aussi trouver deux autres documents passionnants : une gravure qui montre la cour :
et une autre qui montre la façade rue Saint-Denis :
J'ai été particulièrement intéressé par ce qu'on peut voir dans la partie supérieure de chacun de ces documents : on voit que cette la frise avec les bas-reliefs était très longue puisqu'elle couvrait l'ensemble des façades.
De plus tant sur les gravures que sur le plan on ne voit pas de partie bisotée comme celle formée aujourd'hui par l'angle des deux rues :
On peut donc en conclure que tous ces bas-reliefs ne sont pas du tout à leur emplacement initial. On peut s'en convaincre aussi en observant le décrochement que forme la façade côté rue Saint-Denis sur la gauche :
Ce décrochement forme un angle en L ou la frise a donc une forme perpendiculaire.
Il est donc fort probable qu'initialement cette partie de la frise (le cartouche 7 dans ceux que j'ai évoqué plus haut) était situé à un angle de la cour puisqu'on ne voit pas de tel angle sur la façade initiale rue Saint-Denis :
Un autre élément montre que l'ensemble a été complètement reconfiguré. Je m'en suis convaincu en découvrant dans les Archives de la Bibliothèque Nationale un ouvrage passionnant qui recense toutes les fontaines de Paris en 1812 :
On y trouve un passage passionnant relatif à la fontaine de la cour Batave qui permet de se rendre compte du très riche décor que l'on trouvait à cet endroit.
Sur le plan de 1801 déjà évoqué plus haut, on comprend la localisation de cette fontaine qui était dans l'axe au fond de la cour :
On la voit aussi sur la gravure au fond de la cour :
La noticee de l'ouvrage de 1812 sur la fontaine écrite par Amaury Duval est très intéressante sur l'aspect de la Cour Batave. Elle rappelle tout d'abord l'historique de la Cour :
On y apprend ainsi que les travaux ont coûté 1 800 000 francs et que les architectes étaient appelé Sobre et Happe.La description de la fontaine est encore plus passionnante :
On y lit la description de la fontaine qui était décorée par une femme assise ayant chaque main sur la tête d'un lion placé de côté et que cette sculpture "lourdement" traitée était d'un dénommé Augé.
Il est intéressant de noter que cette fontaine n'était plus alimentée en eau depuis quelques années au grand désespoir de l'auteur :
Le plus impressionnant est que cet ouvrage de 1812 est accompagné par des planches signées M. Moisy. On y voit d'abord le plan de cette fontaine qui était située sur un socle au milieu d'un bassin :
mais surtout une représentation de la fontaine elle-même :
un agrandissement permet de mieux voir le détail :
Dans ce dessin j'ai reconnu un élément d'un des bas-relief que j'ai présenté en début d'article, le n°3 (qui donne rue de la Cossonnerie) :
Voici un détail pour mieux voir :
Un détail de cette frise non montre ainsi un détail de la fontaine qui se trouvait au centre de la Cour Batave ce que je pense être le premier à montrer.
Cette représentation d'une femme assise entre deux lions correspond à la déesse Cybèle comme on peut la voir ici :
Pendant l'Antiquité, elle était considérée comme la Déesse mère et la déesse de la nature sauvage, d'où la présence des lions à ses côtés.Pour bien comprendre où était localisée la cour Batave, je l'ai encerclé sur ce plan dit Girard de 1820 :
Elle a complètement disparu avec le percement du boulevard Sébastopol dans la 2e moitié des années 1850 :
Je pense avoir prouvé par cet article que la disposition actuelle des frises n'a plus rien à voir avec la disposition initiale. Il s'agit d'un remploi.
De plus, je pense pouvoir affirmer qu'une partie importante de la frise initiale a disparu ou bien elle a été conservé dans des résidences privées en remploi. Si certains ont dans leur hall d'immeubles (construit dans les années 1850/1860) un décor avec une femme assise entre deux lions, il provient peut-être de l'ancienne Cour Batave... Vous pouvez me contacter pour me le signaler !
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