lundi 6 février 2023

MMDXXXIV : Les façades de Paris Centre : le 14 rue de Bretagne, une façade de 1926 à l'époque de l'Egyptomanie, et un lieu de Mémoire de la Shoah.

  

A l'angle formé par le 14 rue de Bretagne et le 48 rue Charlot (ans le 3e arrondissement) on peut voir un immeuble à l'architecture surprenante. On peut s'en rendre compte en passant devant le portail du 14 : 

Ces têtes égyptiennes de chaque côté sont vraiment impressionnantes :

La porte comporte une ferronnerie en fleurs de lotus qui est vraiment très belle.

Quand on prend le temps de regarder cet immeuble de plus loin, on peut observer aussi le surprenant décor de la partie en angle :

L'oriel (ou bow window) est soutenue par des consoles qui mélangent le goût pour l’Égypte et les lignes géométriques du style Art Déco :


Mais le plus étonnant est dans la partie supérieure : un aigle est encadrée par des formes géométriques elles aussi dans un goût égyptien :

C'est sur cet angle que l'immeuble est signé :

On peut lire que l'immeuble date de 1926 et qu'il est signé par les architectes Albert-Joseph Sélonier  et Henri Depussé.

Albert-Joseph Sélonier a construit un nombre impressionnant dans Paris. Né à Montereau le 24 janvier 1858, il est mort à Paris (dans le 2e arrondissement) le 30 septembre 1926. Il a fait l'objet d'une recherche très intéressante menée par  Alexis Markovics sous le titre "Alexis Markovics, "La fortune d'une production ordinaire : les immeubles parisiens d'Albert-Joseph Sélonier (1858-1926)"  dans l'ouvrage Repenser les limites : l'architecture à travers l'espace, le temps et les disciplines paru en 2005 à l'INHA que l'on peut retrouver sur ce lien. On y apprend que "Sans diplôme, métreur-vérificateur, entrepreneur puis architecte à partir de 1893, Sélonier dépose plus de cent quatre-vingts demandes en autorisation de bâtir à Paris, essentiellement pour des immeubles locatifs destinés à la classe moyenne". Par la suite le même chercheur, Alexis Markovics- a publié en 2016 La Belle Époque de l'immeuble parisien. La production exemplaire, ordinaire et commerciale d'Albert Sélonier (1858-1926), architecte chez Mare et Martin.

Henri Depussé est né 1870. Il a été associé au cabinet d'Albert Sélonier à partir de 1895. On lui doit un autre immeuble de Paris Centre auquel il faudra que je consacrer un autre article : celui du 43 rue Beaubourg. Il a beaucoup travaillé avec le sculpteur Jules-Hector Despois de Folleville (Né à Rouen le26 janvier 1848 et mort à Sèvres en1929) ce qui me laisse penser que ce dernier a peut-être participé aux décors égyptiens du 14 rue de Bretagne, même s'il n'était plus très jeune puisqu'il avait 78 ans en 1926.

L'égyptomanie qui avait prévalu au retour d'Egypte à l'époque du Consulat(voir par exemple mon article du 6 juillet 2019 sur le passage du Caire) a eu un regain de faveur dans les années 1920 avec la découverte du tombeau de Toutankhamon en novembre 1922. Ce n'est qu'en mars 1923 qu'une cérémonie a été organisée pour célébrer cette importante découverte comme cela est rappelé par cette photographie parue dans Le Monde illustré :

Cet immeuble est aussi un lieu de Mémoire comme cela est rappelé par une plaque située à côté du portail d'entrée du 14 rue de Bretagne :

Elle explique en effet qu'à cet endroit lors de la râfle du Vel d'Hiv, le 16 juillet 1942 les Juifs arrêtés ont dans le 3e arrondissement.

J'ai voulu avoir plus d'information à ce sujet et j'ai trouvé sur Internet une recherche passionnante de Larent Joly parue à ce sujet en 2021 sous le titre " Ils sont emmené votre maman et votre petite soeur...". La grande rafle du 16 juillet 1942 à l'échelle d'un quartier du 3e arrondissement de Paris dans le numéro 62 de la revue Histoire urbaine paru en 2021. Le mieux est de lire cet article mais pour ce qui concerne le 14 rue de Bretagne voici plusieurs informations à retenir :

1. Le 14 rue de Bretagne avait été choisi car on y trouvait un garage et qu'il avait été considéré comme l'endroit adéquat pour servir de lieu de transit avant le départ des bus vers le Vel d'Hiv.

2. Dans le 3e, les opérations ont été menés par le commissaire de Police de l'arrondissement, Maxime Morisot (en poste de Mars à Aout 1942). 70 gardiens de la paix sur les 300 de l'arrondissement ont été mobilisés et ils ont été renforcés par une centaine d'autres venus des 1er et 14e arrondissements ainsi que 143 élèves gardiens de la paix.

3. Pour surveiller le lieu de détention choisi (le 14 rue de Bretagne), 30 membres de la Compagnie Hors Rang de la Préfecture de Police avaient été ajoutés aux effectifs, c'est-à-dire en fait la compagnie de la musique.

4. Pour le 3e arrondissement, on comptait 2675 fiches de personnes juives à arrêter. Le nombre final d'arrestation a été de 770, soit un pourcentage de 28,8%. 

5. L'article comporte une carte très précise de localisation des opérations d'arrestation. Je la reproduis ici en encerclant le 14 rue de Bretagne :

On se rend compte à quel point tout le 3e arrondissement a été concerné par ces arrestations. Il est difficile de se rendre compte quand on est sur place de l'ampleur de ces arrestations. Peut-être faudrait-il, comme cela se fait dans de nombreuses villes d'Europe et comme le souhaite la sénatrice de l'Orne Nathalie Goulet poser au sol de Stolperteine qui rappellent le nom des victimes de la Shoah ? Voici par exemple deux exemples que j'ai photographiés à Dresde et à Milan :

P.S. : Après avoir échangé, après la publication de cet article, avec Karen Taïeb sur la dernière question qui occupe cet article, j'entends qu'il existe d'autres moyens de rendre hommage aux victimes de la Shoah (la pose de plaques sur les établissements scolaires ou dans les jardins de Paris). Il faut en tout cas continuer dans la voie qui conduit à prendre conscience de l'ampleur du crime commis pendant la 2nde guerre mondiale afin de ne pas oublier.


1 commentaire:

  1. Des plaques sur les écoles et des plaques devant les immeubles, ça n'a pas la même valeur, la même symbolique.
    La ville de Paris est bien réticente à ces plaques. On l'entend depuis longtemps sans vraiment savoir pourquoi.
    Mettre des plaques devant les immeubles, c'est multiplier les lieux de mémoire, faire en sorte que cette histoire de Paris ne soit pas oubliée. Se souvenir que, derrière chaque plaque, il y avait des gens, des Parisiens, qui ont disparu.

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