jeudi 16 février 2023

MMDXXXVIII : Promenade dans le Paris d'Hittorff : étape 1, l'église Saint-Vincent-de-Paul (Paris 10e).

Hittorff par Ingres en 1829

Tous les Parisiens ont déjà une fois au moins entendu parler d’Haussmann, d’Alphand ou de Davioud, mais peu nombreux sont ceux à connaître le nom d’Hittorff. Pourtant, le « beau Paris » - celui que nous envie le monde entier aujourd’hui - doit énormément à cet architecte (et pas seulement architecte, nous le verrons) injustement oublié, sans doute à cause de sa nationalité allemande, mais peut-être aussi à cause de l’hostilité d’Haussmann qui montrera un véritable acharnement à saper sa carrière ! Toutefois, cela n’empêchera pas Hittorff d’être admiré et célèbre de son vivant, d’entrer à l’Institut de France et de recevoir de nombreuses et prestigieuses distinctions.  

À travers une série d’articles à paraître régulièrement sur l’Indépendant du Coeur de Paris, Emmanuel (rédacteur du blog) et moi, Baptiste (@Baptiste75004 sur Twitter), vous emmènerons dans les semaines à venir sur les traces d’Hittorff à Paris, en vous présentant une sélection de ses réalisations les plus emblématiques encore visibles aujourd’hui. Tous les deux mois, nous vous ferons découvrir ou redécouvrir un édifice, un monument, un aménagement signé Hittorff aujourd’hui indissociable de l’image de Paris. 

QUELQUES MOTS SUR LE MAÎTRE

Jakob Ignaz Hittorff est né le 20 août 1792 au cœur du vieux Cologne dans une famille dartisans (son père était maître ferblantier) qui loriente dès son jeune âge vers le métier darchitecte (apprentissage en maçonnerie, cours de dessin et de mathématiques…).

 

Cologne en 1800

À partir de 1794, Cologne étant sous domination française et étant annexée (en 1801) à la République, Hittorff bénéficie de la citoyenneté française. À 18 ans, Jacques Ignace part pour Paris et est admis à l’école des Beaux-Arts au sein de latelier du célèbre Charles Percier (1764-1838), créateur du style Empire (Percier signera plus tard larc de triomphe du Carrousel). Dès son arrivée au sein de latelier, les talents exceptionnels de dessinateur d’Hittorff sont tout de suite remarqués par le maître qui lui donnera par la suite de précieux conseils et le guidera dans sa carrière. Hittorff na pas encore vingt ans lorsquil collabore, sous la direction de François Joseph Bellanger (1744-1818), l’un des plus célèbres représentants du style néo-classique et l’auteur du château de Bagatelle, au chantier de construction de la première grande structure métallique en France, la Halle aux blés (actuelle Bourse du Commerce à Paris). 

Le contexte international nest malheureusement pas favorable à Hittorff : le traité de Vienne (1815) lui fait perdre sa citoyenneté française, le droit de poursuivre ses études et par conséquent la possibilité de préparer le concours du prix de Rome. Mais Joseph Bellanger qui a, comme Charles Percier, conscience du formidable potentiel du jeune Hittorff, le prend sous son aile (les quatre dernières années de sa vie) au moment où il entre au service de Louis XVIII. À la mort de Bellanger, Hittorff a déjà largement fait ses preuves et est nommé « Architecte du Roi pour les fêtes et cérémonies ». Hittorff décorera par exemple somptueusement Notre-Dame pour le baptême du duc de Bordeaux, ou la cathédrale de Reims en 1825 à loccasion du sacre de Charles X. 
Décor extérieur de la cathédrale de Reims pour le sacre de Charles X en 1825
 

De septembre 1822 à juin 1824, Hittorff avait voyagé en Italie pour ses études avec l’assentiment de Louis XVIII. Après un passage à Rome, il s'était rendu en Sicile, et notamment à Sélinonte où il avait effectué à ses frais des fouilles et de nombreux relevés durant cinq semaines.

Temple à Sélinonte (Nord-Ouest de la Sicile)
    

Il y avait trouvé sur les vestiges des éléments qui confirmèrent son hypothèse : la polychromie était présente dans l’architecture religieuse de l’Antiquité, les temples étaient peints et colorés, idée qui était rejetée par les archéologues de l’époque. 

Planche d'étude de la polychromie antique par Hittorff


Sur ce sujet, Hittorff aura à faire face à de nombreux détracteurs pendant de nombreuses années, mais les plus grands experts finiront par reconnaître qu’il avait vu juste. Il fera même leur admiration et deviendra un archéologue et un historien de l’art mondialement reconnu.  

À son retour d’Italie, Hittorff sinstalle définitivement à Paris où il épouse Élisabeth Lepère (1804-1870). 
Mme Hittorff par Ingres en 1829
 
Elle était la fille du grand architecte Jean-Baptiste Lepère (1762-1844) à qui lon venait de confier la construction de l’église Saint-Vincent-de-Paul et qui fera appel à son gendre sur ce projet. Ceci nous amène à la première étape de notre série dans les pas d’Hittorff à Paris…
 
1ÈRE ÉTAPE - ÉGLISE SAINT-VINCENT-DE-PAUL (PARIS 10ème) : 1831-1844
  
Vue de l'église depuis la place Franz Liszt

 
Félix Pigeory (1813-1873), architecte, inspecteur des travaux de la ville de Paris et rédacteur en chef de la Revue des beaux-arts, dira de cette église qu’elle est l’« un des plus beaux ouvrages des temps modernes en ce genre ». 
 
Initialement, c’est à Jean-Baptiste Lepère qu’avaient été confiés les plans de ce monument édifié juste à côté de l’endroit où Saint-Vincent-de-Paul fonda la mission des Lazaristes et où il mourut (précisément au prieuré de Saint-Lazare, en 1531). La première pierre de l’église Saint-Vincent-de-Paul est posée en 1824 mais la crise économique de 1826 et la Révolution de 1830 freinent les travaux. En 1831, Hittorff reprend le projet de son beau-père avec la volonté de réaliser ici une sorte de manifeste de ses théories appliquées aux domaines de la sculpture, de la peinture, de la fonderie, de l’ébénisterie, des vitraux… Il y aurait beaucoup à dire à propos du travail des maîtres artisans de grand talent qui ont œuvré ici sur les instructions d’Hittorff, mais l’objectif de notre série n’est pas d’entrer dans le détail de toutes ces réalisations, aussi remarquables soient-elles. 
 
Par rapport au projet initial de son beau-père, Hittorff modifie énormément de choses : il ouvre la place sur l’église, réalise un escalier monumental en s’inspirant de celui de l'église de la Trinité-des-Monts, à Rome. Il dote la façade - que Lepère avait choisi de dessiner avec un clocher unique - de deux tours (comme pour l’église Saint-Sulpice). Il réalise un portique ionique de temple grec d’une grande justesse archéologique, ce qui lui vaudra dès son achèvement des critiques très élogieuses. Il faut imaginer l’église Saint-Vincent-de-Paul à l’époque, sans les nombreuses constructions qui l’entourent aujourd'hui, dominant le quartier en son point culminant et faisant face à un immense parvis : l’ensemble devait être impressionnant pour le visiteur qui arrivait à pied ou en calèche par la rampe d’accès prévue à cet effet. 
Douze colonnes ioniques soutiennent le porche et symbolisent les apôtres
La Gloire de Saint Vincent de Paul par Charles Leboeuf Nanteuil (1792-1865), fronton achevé en 1846, avec sur la balustrade les quatre évangélistes.

Palmettes et tête de lion en bordure de la toiture

Hittorff voit aussi à Saint-Vincent-de-Paul l’opportunité de mettre en valeur l’architecture polychrome pour laquelle il se passionne et dont il est un des plus grands experts de son temps. Différentes techniques, des plus anciennes aux plus modernes, sont employées : peinture à la cire « à l’antique » pour les frises d’Hippolyte Flandrin (1809-1864), peinture sur verre pour les vitraux de Charles Laurent Maréchal (1801-1887), peinture sur lave pour les plaques émaillées destinées à décorer la façade (sous le porche).
Vue principale de la nef avec la frise de 92m de long peinte par Hippolyte Flandrin (1809-1864) représentant 205 personnages, les saints, à droite, et les saintes, à gauche, se dirigeant vers le Christ en Majesté de la coupole
Détail de la frise peinte par Flandrin

Le grand orgue comprenant 66 jeux et 4649 tuyaux d'Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899) qui a également réalisé les orgues de Notre-Dame, Saint-Eustache, la Madeleine...

Le grand orgue depuis le 2e orgue situé dans le choeur
Vitrail de Sainte Elisabeth par Charles-Laurent Maréchal (1801-1887)   


Saint Ferdinand et Sainte Hélène, deux des boiseries du pourtour du chœur qui comprend 38 sculptures d'Aimé Millet (1819-1891) et François Derré (1797-1888). Les têtes des saints représentent les membres de la famille d'Orléans.
Détail de Sainte Hélène
L'autel majeur : le Calvaire par François Rude (1784-1855) avec le Christ sur la croix entouré par Sainte Marie et Saint-Jean, œuvre en bronze réalisée en1848/1852.
Un ange décorant la grille du choeur dessiné par Hittorff
Le plafond à caisson des bas-côtés.

Les plaques émaillées sous le porche représentent des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament, elles sont réalisées par Pierre-Jules Jollivet (1803-1871) et posées en 1860. La nudité de certains personnages provoque immédiatement un scandale et le baron Haussmann, qui attend toujours Hittorff au tournant, ne fait rien pour soutenir Jollivet. Au contraire, il fait déposer les plaques l’année suivante. Il faudra attendre 2011 pour que les plaques colorées retrouvent leur emplacement d’origine ! 
 

Les plaques émaillées de Pierre-Jules Jollivet (1803-1871) avec la porte de Jean-Baptiste Farochon (1812-1871) fondue par l'entreprise Calla en 1844
Détail de la porte avec la statue de l'apôtre Saint Jude Thadée avec la mention de la date de la fonte et du nom de la fonderie

Détail d'une des plaques émaillées qui fit scandale
 
 Extrait de l' ouvrage de Jacques-Ignace Hittorff, L'architecture polychrome chez les Grecs (1852) dans lequel il a inclus une planche montrant... la façade de l'église Saint-Vincent de Paul.

 
 À bientôt pour nouvelle étape dans le Paris d’Hittorff ! 

 
 
Le saviez-vous ? Les peintures sur lave des façades d’autels de l’église Notre-Dame-de-Lorette (Paris 9è) ont été conçues par Hittorff d’après les esquisses d’Hippolyte Lebas (1782-1867). 
 
 
Édifices réalisés par Hittorff à Paris à la même époque que l’église Saint-Vincent-de-Paul et disparus aujourd’hui : 
 
Le Panorama (1838-1839) Sa toiture suspendue fait d’Hittorff le précurseur des structures tendues modernes. Le Panorama, dépendant de l’Exposition universelle de 1855, est détruit vers 1898 avec d’autres édifices pour faire place à l’Exposition de 1900 : 
 
Le Cirque d’Été (1839-1841) :  Pouvant accueillir 6000 spectateurs, l’acoustique y est si bonne que Berlioz y donne des concerts. Détruit vers 1900, il a laissé son nom à la rue du Cirque. 

La suite ==> 2e étape : la place de la Concorde (article du 16 avril 2023).

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